Qui sont les auteurs businenge ? 
Tomou Dinguiou, chercheur

Qui sont les auteurs businenge ? 

Propos recueillis par Jade LETARD-METHON
Les premiers écrits businenge ont débuté en 1909-1910 selon Tomou Dinguiou du Minea à l'Université de Guyane.
Les premiers écrits businenge ont débuté en 1909-1910 selon Tomou Dinguiou du Minea à l'Université de Guyane. • JLM

La littérature businenge (bushinengué) existe au cœur de cultures multiples et similaires qui sont essentiellement orales. Tomou Dinguiou, lui-même Aluku, chercheur associé au laboratoire Migrations, Interculturalité et Éducation en Amazonie (Minea) à l'Université de Guyane tenait récemment la conférence « Den businenge sikiifiman ».

Pourquoi faire une conférence sur les auteurs businenge (bushinengué) ? 

Déjà, c'est pour le grand public, pour qu'il sache qu'il y a des auteurs businenge parce que je suppose que l'imaginaire collectif guyanais, au sens large, ne le conçoit. Ensuite, je pense aussi aux Businenge, puisque l'on dit que c'est un peuple de tradition orale donc se pose la question de savoir si les langues businenge s'écrivent et si les Businenge écrivent dans leurs langues. De plus, il s'agit de permettre aux jeunes générations de réfléchir et de conscientiser le fait qu'il y a de quoi faire en termes d'études sur ces populations. Il y a la partie orale puisqu'ils chantent, de ce fait, il y a les paroles, mais aussi les nongo (proverbes), ainsi que les devinettes. Mais si on n'étudie pas tout cela, cela ne va pas perdurer. Il ne faut pas, à chaque fois, que ce soit quelqu'un qui vienne du Nord qui soit notre spécialiste en littérature businenge. Je suis spécialiste de la culture de mes ancêtres, car j'ai décidé que ce sera comme ça. Je n'attends pas la validation de qui que ce soit pour être un spécialiste de ma culture.
Entre quarante et cinquante auteurs
 

D'où vous vient cet intérêt pour les auteurs businenge ? 

Je voulais voir s'il y avait des écrivains dans ces langues et d'où était partie l'écriture (au sein de la communauté). Ça n'existe pas un Businenge qui fait de la recherche approfondie sur les écrits tout en s'intéressant aux auteurs businenge. Au début de mes recherches, je pensais qu'il n'y en avait pas beaucoup et puis j'ai découvert que oui, il y en avait.

Quel est l'intérêt pour le public ? 

Il y a déjà celui d'apprendre ainsi que l'échange. Il s'agit aussi de faire comprendre qu'un chercheur ne sait pas tout puisqu'il cherche, mais surtout qu'il a un devoir de restitution. Ça peut se traduire par une conférence où le chercheur va apprendre à la population tout en continuant à apprendre lui-même, car il n'a pas la science infuse. Moi-même, dont c'est la culture, je ne sais pas tout et c'est pour ça que je cherche : pour connaître et pour faire connaître aux autres.

Combien d'auteurs avez-vous déjà recensés et de quels horizons viennent-ils ?

Pour l'instant, j'en ai trouvé entre quarante et cinquante. Je ne vais pas m'attarder sur les textes, mais vraiment faire un état des lieux de ce que l'on peut retrouver. Je les ai divisés en groupes ethniques afin d'expliquer comment ils ont écrit. Il s'agira de déconstruire cette idée qu'il y a peu ou pas d'auteurs businenge car étant dans le milieu, c'est quelque chose que j'ai eu l'occasion d'entendre à plusieurs reprises. Chez nous, on dit « San yu na sabi gaandi fu yu»,« sa ou pa konèt pli gran pasé'w » (ce que tu ne connais pas est plus grand que toi).
 

 « San yu na sabi gaandi fu yu »

 

À quand remonte les premiers écrits ?

Pour ce qui est de la langue businenge, ça commence en 1909-1910 avec Afaka. Il a inventé une écriture à symboles syllabiques qui ressemble beaucoup au « Vai » de la Sierra Leone.

Pourquoi la littérature businenge n'est pas plus connue ?

On va à l'école européenne et on apprend les auteurs européens comme Diderot donc on ne se pose pas la question de savoir s'il y a des auteurs businenge. Cette littérature n'est pas diffusée à l'intérieur de la communauté ; elle a été diffusée par le biais du conte, mais ce n'est pas considéré comme un enseignement comme c'est le cas dans la société occidentale. Le conte permet d'arriver à tirer une leçon morale, mais ce n'est pas un objet d'études. Il faut travailler pour que ça le devienne et plus seulement une tradition orale. On ne se réunit pas à plusieurs pour discuter et étudier ce patrimoine et si cela se fait, c'est pour perpétuer la tradition et il n'y a pas de notation. Quand cela devient un objet d'études, on va s'évaluer pour juger la compréhension globale. La tradition se perd parce que nos enfants vont à l'école où ils passent beaucoup de temps. Or, la tradition orale se vit au village et tout le monde n'y est pas. De nos jours, tout le monde va à l'école pour travailler dans une organisation salariale, ce qui n'est pas le cas dans l'organisation du village businenge.

Comment susciter l'intérêt de la population guyanaise vis-à-vis de la littérature businenge ?

Il faut déjà faire l'état des lieux et terminer ce qui a été entamé. Ensuite, il faut écrire des bouquins pour aller plus loin. On peut avoir le savoir, mais il faut le transmettre et ce ne sera pas possible comme dans le temps, mais plutôt dans un lieu dédié. Il faudra aussi y parler d'autres langues comme le français, le créole pour toucher d'autres populations. Il faut aussi former des gens issus de la communauté qui ont la fibre de la recherche. Celui qui fait ces travaux est exposé aux critiques, donc si vous n'êtes pas vous-mêmes convaincu, en tant que businenge, de ce que vous faites, je ne pense pas que d'autres personnes pourront en faire de même convenablement.
Nègre Marron, itinéraire d'un enfant du ghetto, paru en 2016 aux éditions Ibis Rouge, de Jessi Américain.
Nègre Marron, itinéraire d'un enfant du ghetto, paru en 2016 aux éditions Ibis Rouge, de Jessi Américain. • DR

Suivez l'info en temps réel
sur l'appli France-Guyane!

Télécharger