Mylène Mathieu : « Je n'hésiterai pas à porter plainte contre l'État »
Législatives 2022

Mylène Mathieu : « Je n'hésiterai pas à porter plainte contre l'État »

Gérôme GUITTEAU ; g.guitteau@agmedias.fr
Mylène Mathieu veut être une députée d'opposition à la politique du président Macron.
Mylène Mathieu veut être une députée d'opposition à la politique du président Macron. • G. GUITTEAU

Mylène Mathieu, présidente de l'Union régionale des professionnels de santé pour les infirmièr-e-s, ancienne élue territoriale d'opposition lors de la dernière mandature, se présente à la députation dans la première circonscription. La Cayennaise, passée par la Coulée d'or et Chatenay veut être une opposante à la politique d'Emmanuel Macron au sein d'une gauche plurielle. Elle explique sa démarche et son projet politique dans les colonnes de France-Guyane.

Pourquoi cette candidature tardive ?
C'est un jugement de valeur de votre part. Non, c'est une continuité. J'étais dans la représentation des professionnels pendant la crise Covid. Je ne voulais pas surfer sur cet engagement comme une loyauté pour mes confrères et consœurs. Je me suis consacrée jusqu’au bout à ce combat, tout en œuvrant à garder la cohésion des professionnels.
Le déclencheur de ma candidature a été le résultat des présidentielles.
Nous avons eu beaucoup de conseils qui nous ont dit que c'était un problème politique que nous affrontions lors de la crise sanitaire. La solution était donc politique. La chape de plomb est tombée quand Mélenchon n'est pas passé. Cela a pesé à 40 ou 50 % pour y aller.
Vous voulez Jean-Luc Mélenchon comme premier ministre ?
Je n'étais déjà pas satisfaite depuis les débuts de LREM. Là nous sommes encore parti pour cinq ans. A quelle sauce allons-nous être mangés ? Clairement, mon objectif est de porter une gauche plurielle à l'Assemblée Nationale. Même si je ne me revendique pas de la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), je suis de gauche, je porte des idées de solidarité et j'ai toujours été favorable à la sixième république prônée par Jean-Luc Mélenchon. Je verrai selon les configurations où je siégerais. Cela dépendra des négociations aussi.

 
"Le chacun pour soi n'existe pas chez moi."
 
Le terme de DVG est-il galvaudé ? Vous êtes 13 à le revendiquer.
Je ne sais pas. Peut-être. Je suis de gauche car j'ai grandi dans ce milieu. C'est aussi l'idée de solidarité. Qu'est-ce qui distingue la droite de la gauche ? On fait jouer l'ascenseur social ; quand l'individu tombe dans un environnement peu favorable, la solidarité de l’État intervient pour compenser ces embûches. Je ne suis pas dans la compétition. Tout à chacun doit trouver sa place. Le chacun pour soi n'existe pas chez moi.
Cela fonctionne aussi avec les immigrés ? Des candidates qui se revendiquent DVG ont tenu des propos que le Rassemblement national ne renierait pas.
Tout à fait, la solidarité fonctionne avec les migrants. La Guyane est une terre bénie qui a toujours accueilli dans son histoire. Il faut qu'on s'habitue à recevoir des migrants avec le dérèglement climatique. A charge de bien les accueillir. Et cela revient à l’État, c'est sa compétence, ses financements. Nous devrions avoir un accueil pour les demandeurs d'asile.
On peut aussi les recenser, s’intéresser à eux et à leurs projets de vie pour savoir si on ne peut pas les intégrer dans notre tissu économique.
La Guyane de Mylène Mathieu : solidarité, hospitalité, autonomie et application par l’État des 3,2 milliards d'euros des accords de 2017 • G. Guitteau

J'ai rencontré une famille syrienne dont la femme est sage-femme. Ils veulent juste transiter par chez nous. C'est dommage car on a besoin de sages-femmes. On pourrait contractualiser cet engagement.
Ce qui déplaît à la population, c'est la désorganisation d'une arrivée en masse.
C'est là où le rôle du législateur intervient. Ils pourraient travailler pendant l'instruction de leur dossier. Cela donnerait un autre regard à la population d’accueil. Un mieux vivre s'organise sur le territoire.
Il faut que les collectivités locales aient plus de compétences sur ce sujet avec les moyens qui vont avec.

 
"J'ai peut-être manqué de confiance dans notre système judiciaire"
 
Pourquoi n'avez-vous pas porté plainte lors de la crise Covid après l'évacuation de l'ARS où vous avez fait un malaise ?
Les forces de l'ordre ne m'ont pas porté de coups. Il n'y avait pas de quoi porter plainte même si nous avons été gazés. Mais j'ai eu le malaise avant qu'ils gazent. J'ai aussi peut-être manqué de confiance dans notre système judiciaire surtout quand j'ai vu comment nos camarades ont été traités.
Avez-vous été surprise que votre parole d'ancienne élue n'ait pas été plus respectée ?
J'étais une ancienne élue, et dès lors qu'on est plus élue on redevient un citoyen lambda, même si j'étais élue auprès de mes pairs. Mais c'est vrai que votre constat reste pertinent.
Nous avons fait appel à des élus car seuls eux pouvaient être entendus selon Macron mais ils ne l'ont pas été. Reste à savoir s'ils ont fait le travail pour l'être. La nouvelle majorité de la Collectivité territoriale (CTG), a voté une motion mais ensuite le travail pour être mieux entendu a-t-il été fait ? On n'a plus eu de nouvelles.
Il y a eu moins d'impact en Guyane en terme d'interdiction ou de suspension de soignants par rapport à la Guadeloupe par exemple ?
Ce qui a fait la différence dans les hôpitaux en Guyane, c'est que si le personnel était suspendu l’hôpital ne pouvait plus fonctionner donc ils ont fermé les yeux. Donc il y a eu des avertissements mais pas de suspension. Cela a été un choix du préfet de la santé en Guyane : l'ARS (Agence régionale de la santé). Pendant qu'elle imposait la loi dans le milieu libéral et privé, elle faisait autrement dans le secteur public et dans les hôpitaux.
Les thèmes de la campagne actuelle vous conviennent-ils ? Le statut, le foncier, l'insécurité ?
Le rôle du député est d'agir par rapport aux décisions prises par le gouvernement via les projets de lois des ministres qui développent son programme. Nous devons être en veille pour limiter les impacts défavorables de ces lois sur notre territoire. Il faut donc une vue d'ensemble. La vérité c'est qu'il est très difficile de faire une loi pour répondre à nos réalités. Le meilleur outil reste dans ce cadre législatif le projet Guyane et l'évolution statutaire qu'il propose.
Sur le foncier qui appartient à près de 90% à l’État ?
Je suis pour l'égalité. Cette situation perdure en Guyane et nulle part ailleurs. Donc oui, je suis pour que les collectivités le récupèrent ou un organisme territorial puisse recevoir la totalité du foncier comme en Corse. C'est un prérequis pour tout développement.
 
"Je n'ai aucun regret. Je me suis toujours sentie libre"

Qu'est-ce qui vous sépare d'une Yvane Goua, d'un Philippe Bouba avec lesquels vous étiez dans l'opposition contre les décisions gouvernementales pendant la crise sanitaire?
Nous avions un dénominateur commun mais pas de parti politique... Cela n'a jamais été dans la discussion même si pour ma part depuis les municipales, dans le cadre du front pour l’évolution statutaire, j'ai essayé d'inculquer la réflexion d'un mouvement politique des gauches car ces partis sont très présents dans le front.
Vous avez été dans les discussions en 2021 dans l'union des gauches pour les élections territoriales. Regrettez-vous de vous être opposée à Gabriel Serville alors qu'il n'avait pas obtenu la présidence de la liste au profit de Jean-Paul Fereira, après un vote en interne ?
Je ne me suis pas opposée. On avait deux différences de points de vue et donc je me suis retirée et je suis partie de Peyi Guyane. Je n'ai aucun regret. Je me suis toujours sentie libre. Quand il y a des fondements trop prégnants qui nous divisent, il faut savoir partir.

 
"Il y a une certaine léthargie de nos élus"
 
Il n'en reste pas moins, que l'on peut voir une proximité idéologique avec Thibault Lechat-Véga, non ?
Vous voyez une proximité idéologique ?
Sur le foncier et le rapport à mettre en place avec l’État français...
Ça, ce n'est pas une proximité idéologique mais un constat de nos réalités qui sont les mêmes.
J'ai été la première à dire qu'en tant que députée, après une première phase de négociations avec le gouvernement, je n'hésiterais pas à porter plainte contre l’État. Il y a une certaine léthargie, pour ne pas dire plus, de nos élus, de notre exécutif qui ne demandent pas que l'accord de Guyane dans son deuxième volet [2,1 milliards euros] soit appliqué alors que le document est opposable devant le conseil d’État ou les juridictions nécessaires.
Connue pour son engagement auprès des soignants qui refusaient l'obligation vaccinale, Mylène Mathieu souhaite que la population prenne son destin en main lorsque le projet Guyane lui sera présenté. • G. Guitteau

Comment gérerez-vous votre présence entre Guyane et Paris  si vous êtes élue?
Je ne serais pas inédite à ce niveau-là. Mon remplaçant devra me tenir informer de la situation. Gabriel Serville était présent sur le terrain en 2017 donc il y a moyen de ne pas être déconnectée. J'organiserai des tournées de la circonscription en conservant le contact avec les maires et les élus de la CTG. Peu importe si nous sommes des opposants, il faut parler d'une même voix.
Cela est difficile de parler d'une même voix. Comment allez vous faire avec Georges Patient, sénateur, très macronien ?
Il n'y aura pas de problème. Que disait-il avant ? C'était un choix stratégique. Maintenant, il colle les affiches pour LREM... mais ce monsieur qui a une longévité extraordinaire dans la politique guyanaise saura écouter.
Il me vient un exemple. Nous étions dans l’opposition et nous avons fait cause commune avec la majorité territoriale pour faire venir de Cuba des médecins. Nous avons rencontré la vice-ministre de la santé de Cuba. Cela n'a pas fonctionné car le président n'a pas été jusqu’au bout du processus bloqué par l'ARS.
C'est une procédure à relancer ?
Bien sûr, en Martinique ils ont reçu une douzaine de médecins.
Cela a été un échec car ils ne parlaient pas français.
Non, avec Marisol Touraine [La ministre de la santé de l’époque] on a vu que cela n'empêchait pas de soigner. L'ARS voulait bien les recruter mais au cas par cas et notre exécutif n'a pas suivi. Mais au-delà du résultat nous étions opposants avec Gauthier Horth et nous avons été solidaires. On a sur parler d'une même voix. Je sais faire fi des divergences.

 
"L'objectif c'est de créer des lois pour notre territoire"
 
A part Line Létard, vous êtes peu de candidat-e-s à parler du projet de retraite à 65 ans qui serait un non sens pour la Guyane. Contrairement au reste de la France notre population est jeune et à besoin de rentrer sur le marché de l'emploi.
C’est une raison pour laquelle le projet Guyane à son sens aujourd’hui. L'objectif c'est, in fine, d'adapter des lois hexagonales à nos réalités ou créer des lois pour notre territoire.
Le projet Guyane c'est le projet de 2001, retravaillé par le front et proposé par la commission ad hoc. Ce n'est plus le projet du front mais celui de la commission ad hoc.
Ce projet n'est pas encore publié car il reste à achever. Cinq points sont en discussion : le corps électoral, la bicéphalité afin d'avoir un pouvoir exécutif différent de celui législatif ; les districts ou bassins de vie sont à découper ; la question européenne...
Vous êtes pour un référendum ou une loi organique ?
Je suis pour que la population prenne son destin en main mais je veux qu'on prenne le temps d'expliquer les enjeux à la population. Il faut prendre le temps de dire à quoi cela va servir.
En 2010, on avait un groupuscule qui agitait la menace de l'indépendance. Aujourd'hui, vous avez un candidat qui se positionne comme le défenseur du projet Guyane alors que pendant dix ans il était dans Guyane 973 puis Guyane rassemblement à nous dire « Nou pa paré ». Ils ont mis le frein à main pour empêcher le dossier d'avancer et maintenant cette même personne dit qu'il va défendre ce projet...
Il y a un réel sacrifice à devenir député, notamment financier, pour vous, car en tant qu'infirmière libérale vous gagnez plus que les 5 679 euros par mois d'indemnité. Pourquoi le jeu en vaut-il la chandelle ?
Effectivement, je pourrais gagner plus en tant que cheffe d'entreprise dans mon secteur mais j'ai diminué ma clientèle pour me consacrer aux combats politiques.
Pourtant, quand vous portez dans vos tripes votre territoire, que vous ne pouvez plus être un acteur limité, que vous voulez agir pour l’intérêt général, pour les intérêts de notre territoire, le jeu en vaut la chandelle.
Cela vient de mon cœur, j'aime ce pays là, comme pas possible. Je ne peux pas être insensible aux autres et l'humain le plus proche de moi, c'est celui qui partage mon territoire.
J'ai besoin viscéralement que ce pays se développe. Je n'arrive pas à être individualiste, je veux que les gens trouvent le bonheur et que nos générations futures se réalisent ici, en Guyane.