Morsures de serpents : la perspective d’un antivenin guyanais se rapproche
SANTE

Morsures de serpents : la perspective d’un antivenin guyanais se rapproche

La rédaction
Le Bothrops atrox, plus connu sous le nom de grage petits carreaux, est responsable de la grande majorité des envenimations de serpents en Guyane (80 à 90%).
Le Bothrops atrox, plus connu sous le nom de grage petits carreaux, est responsable de la grande majorité des envenimations de serpents en Guyane (80 à 90%). • MAEL DEWYNTER, MNHN

Des études précliniques sont en cours pour concevoir un antivenin dirigé contre le grage petits carreaux, responsable de 80 à 90 % des envenimations de serpents en Guyane.

Un antivenin guyanais ! Il y a un an, la Lettre pro de l'ARS parlait déjà des travaux entamés pour mettre au point un antivenin particulièrement orienté contre la morsure du Bothrops atrox, plus connu sous le nom de grage petits carreaux. Ce dernier est responsable de 80 à 90 % des envenimations ophidiennes (relatif aux serpents) sur le territoire. Cet antivenin succéderait à Antivipmyn Tri, utilisé depuis 2014 au centre hospitalier de l’ouest guyanais – avec des résultats mitigés – et depuis 2017 à l’hôpital de Cayenne – avec davantage de réussite. Antivipmyn Tri a le désavantage d’être cher – 1 200 euros la dose, 6 000 à 8 000 euros la cure – et d’être fabriqué par immunisation de chevaux par le venin de Bothrops asper, une espèce présente en Amérique centrale.

« Deux projets sont en cours, détaille le Pr Hatem Kallel, chef de pôle urgences – soins critiques au Centre Hospitalier de Cayenne. D’abord une réflexion conjointe menée avec le Pr Christophe Peyrefitte de l’Institut Pasteur de Guyane en collaboration avec les Institut Pasteur de Tunisie, du Maroc et de Grèce, et potentiellement la Fiocruz pour la fabrication d’un antivenin dirigé contre les venins de serpents circulant en Guyane. Et un travail pour la fabrication d’un antivenin bivalent Bothrops atrox et Bothrops lanceolatus. »  Le second, étudié par le Pr Dabor Résière, est à l’origine de l’intégralité des envenimations de serpents en Martinique. L’antivenin pourrait aussi être efficace contre Bothrops caribbaeus, son cousin de Sainte-Lucie.

Ces travaux, menés avec l’équipe du Pr Jose Maria Guttierez, seront réalisés grâce à un financement du Wellcome Trust, une fondation caritative de médecine. « Si nous réussissons à produire cet antivenin, nous éviterons des ruptures d’approvisionnement », anticipe le Pr Kallel. Les économies seront également importantes : la dose pourrait coûter 30 à 35 euros, contre plus de 1 000 euros pour Antivipmyn Tri. « La chaîne de production, le savoir-faire et les financements sont là », souligne le Pr Kallel, qui espère des résultats dans le courant de l’année prochaine.

D’ici-là, de nouvelles collectes de venin doivent être réalisées. Des études précliniques et des expérimentations sur l’animal doivent être menées. Deux étudiantes en cotutelle Université de Sfax (Tunisie) et Université de Guyane travaillent sur ce sujet, avec le Pr Ibtissem Ben Amara. D’autres travaux, réalisés avec le Pr Abderraouf Hilali (Université de Settat, Maroc). Tous ces travaux portent sur la voie d’administration de l’antivenin dans les études animales et sur la différence de réponse immunitaire en fonction du genre. « C’est la première fois que c’est étudié dans le monde, souligne le Pr Kallel. Nous avons trouvé une susceptibilité plus forte de l’animal de sexe masculin à l’envenimation. L’animal de sexe féminin a une défense immuno-inflammatoire supérieure en cas d’infection ou d’envenimation. »

« Nous avons également travaillé sur un modèle innovant de reproduction des effets toxique du venin sur les vaisseaux sanguins, avec le service d’anatomo-pathologie du Dr Kinan Drak Alsibai, poursuit-il. Nous avons réussi à voir à partir de quel moment survient la rupture vasculaire et à suivre la cinétique du saignement. Nous pourrons donc tester ce modèle avec le nouvel antivenin pour déterminer son pouvoir neutralisant. Nous pourrons voir également quel est le mode d’administration le plus efficace chez l’homme et chez la femme (…). Avec le Pr Magali Demar et le Dr Vincent Sainte-Rose, du laboratoire de microbiologie de Cayenne, nous allons également analyser le pouvoir bactéricide du venin. »

Après ces études précliniques, arriveront les études cliniques et les demandes d’autorisation. Le Pr Kallel espère que les autorisations dont bénéficie déjà le laboratoire au Costa Rica et l’Institut Pasteur seront transposables aux nouveaux antivenins : « Les techniques de fabrication seront les mêmes. Nous changerons seulement l’ingrédient et la cible. » Dans le même temps, des rencontres ont eu lieu avec les équipes du CHOG et du Centre Hospitalier de Kourou (CHK) pour établir des protocoles de prise en charge communs et créer une base de données unique des envenimations. Des travaux sont menés aussi avec l’unité des maladies infectieuses et tropicales (UMIT) sur la gestion des antibiotiques chez les patients envenimés. Tous ces travaux, s’ils sont menés à bien rapidement, pourraient déboucher sur la fabrication du premier antivenin guyanais d’ici douze à dix-huit mois.

Les hôpitaux de proximité auront de l’antivenin

C’est une des avancées liées à la création des trois hôpitaux de proximité de Maripasoula, Grand-Santi et Saint-Georges. Les victimes de morsures de serpent pourront y recevoir de l’antivenin. Le Pr Hatem Kallel, chef du pôle urgences – soins critiques à l’hôpital de Cayenne, estime que cela fera gagner trois heures aux patients, qui jusque-là devaient être transférés sur le littoral pour recevoir leur traitement.

En effet, le 12 octobre, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a autorisé l’utilisation d’Antivipmyn Tri dans les sites isolés, à condition qu’il soit administré par un médecin urgentiste sous la supervision d’un médecin réanimateur. Cette supervision par un praticien de l’hôpital de Cayenne se fera par télémédecine. « Avec la création des hôpitaux de proximité, le Pr Jean Pujo recrute des urgentistes qui permettront d’administrer l’antivenin, se réjouit le Pr Kallel. Nous avons également travaillé avec le Dr Flaubert Nkoncho, de la pharmacie du CHC, pour garantir la disponibilité et la conservation de l’antivenin. »

Ces heures gagnées entre la morsure et l’administration de l’antivenin seront un grand progrès pour les patients. Un article du Dr Stéphanie Houcke (CHC) dans Plos Neglected Tropical Diseases montre des différences d’efficacité du sérum, selon qu’il a été administré dans les six heures suivant la morsure ou au-delà de ce délai.

Entre le 1er janvier 2016 et le 31 juillet 2022, 119 patients ont été hospitalisés moins de quarante-huit heures après une morsure de serpent et ont reçu un antivenin, à l’hôpital de Cayenne. Le temps médian entre la morsure et la thérapie était de neuf heures quinze. Un peu plus d’un tiers (45, 37,8 %) ont reçu l’antivenin moins de six heures après la morsure. Cette médiane masque des écarts conséquents : plus de la moitié des patients arrivés directement aux urgences (54,1 %) ont reçu l’antivenin dans les six heures, contre un cinquième (20,7 %) de ceux s’étant d’abord rendus en centre de santé.

« Le temps écoulé entre la morsure et l'obtention d'une concentration normale de fibrinogène plasmatique était de vingt-trois heures vingt-sept chez les patients recevant un antivenin moins de six heures après la morsure, contre trente-et-une heures vingt-trois chez ceux l’ayant reçu plus de six heures après la morsure. » En revanche, quel que soit le délai d’administration de l’antivenin, la durée avant l'obtention d'un dosage normal de fibrinogène était similaire : dix-huit heures. « Cela s’explique par le fait que les patients ne sont pas au même stade, explique le Pr Kallel. Ceux arrivés rapidement sont en train de se dégrader lorsqu’on leur administre l’antivenin, tandis que ceux arrivés tardivement sont déjà en train de récupérer naturellement. »

Lu dans la Lettre pro de l'ARS du 16 juin 2023.