Le 18 janvier 2010, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice de l’époque, annonçait la création de la cour d'appel de Cayenne. « À la suite de la grève du printemps dernier, la Chancellerie s'est engagée sans délai pour accroître les moyens humains et logistiques nécessaires à l'exercice des tribunaux, déclarait la ministre dans nos colonnes. Aujourd'hui je souhaite franchir une nouvelle étape dans ce domaine. À ce titre, j'ai donné mon accord à la création d'une cour d'appel à Cayenne. »
Une satisfaction pour les avocats de Guyane qui, dès leur assemblée générale du 26 février 2009 avaient entamé une grève des audiences, principalement des assises. Un combat qu'avaient mené le barreau et son bâtonnier Patrick Lingibé.
Découvrez ici la tribune de ce dernier à l'occasion de cet anniversaire :
Marcus Tullius Cicéron écrivait « Ne pas savoir ce qui s’est passé autrefois, c’est rester toujours un enfant. Si l’on n’exploite pas les travaux du passé, le monde restera toujours dans l’enfance du savoir ».
La mémoire humaine oublie souvent les temps forts qui ont marqué l’avancée d’idées et de projets dans une société. Rien n’est le fruit du hasard et souvent derrière les institutions, se cachent des combats que l’on a oublié car aucune mention n’est portée sur le fronton pour témoigner que telle institution n’existe que parce qu’à un moment donné, et dans un temps donné, un groupe de personnes, fortement pénétrées par une égalité républicaine, ont dit non et ont bousculé l’histoire déjà écrite pour en réécrire le scénario et les acteurs.
La cour d’appel de Cayenne s’inscrit, de façon plus discrète, dans les actions qui ont façonné l’organisation structurelle de ce territoire, telles celles qui ont conduit à la création du rectorat guyanais en 1997 et l’université guyanaise en 2014.
En effet, il faut se rappeler que jusqu’au 31 décembre 2011, la Guyane relevait sur plan judiciaire de la cour d’appel de Fort-de-France. S’il existait bien une chambre détachée de la cour d’appel martiniquaise en Guyane, qui traitait du contentieux d’appel guyanais, sauf pour certaines affaires importantes, la Guyane était gérée par un premier président et un procureur général qui se trouvaient baser à Fort-de-France.
Ces derniers venaient en tournée de temps en temps. Toute la gestion administrative et financière était gérée en Martinique avec des choix faits là-bas pour les justiciables guyanais, la Guyane n’étant qu’un simple appendice lointain de l’administration judiciaire martiniquaise.
Cette grève, qui sera relayée au niveau national et suivie à chaque instant par le journaliste de France-Guyane Daniel Saint-Jean, va durer plus d’un mois plein. Elle a débuté après un questionnaire que j’avais adressé aux avocats afin d’établir un état complet de tous les dysfonctionnements du service public de la justice sur tous les plans, afin d’arrêter les actions à entreprendre face à cette situation catastrophique qui pénalisait lourdement le justiciable de Guyane.
Ce n’est qu'à la suite de cette grève générale très dure, après moult discussions et arbitrages et contre la volonté des chefs de cour martiniquais de l’époque, que la décision de la création de la cour d’appel de Cayenne sera annoncée le 18 janvier 2020 par la ministre de la Justice de l’époque Michèle Alliot-Marie. Sans ce combat et ce sacrifice fait par les avocats en 2009, l’institution judiciaire guyanaise aurait continué à être gérée entièrement par la cour d’appel de Fort-de-France située à plus de 1 400 kilomètres (Lire ici notre édition du 19 janvier 2010).
Cette cour d’appel de Cayenne sera instituée, par deux décrets : d’une part, le décret n° 2011-1877 du 14 décembre 2011 modifiant l'organisation judiciaire en Guyane et d’autre part, le décret n° 2011-1878 du 14 décembre 2011 créant la cour d'appel de Cayenne.
La cour a commencé son activité le 1er janvier 2012 et a repris à son compte toutes les affaires jusqu’alors traitées par la chambre détachée de Cayenne (Lire ici notre édition du 13 janvier 2012).
Cependant, cette indépendance judiciaire n’est pas complétement terminée puisque la cour d’appel de Cayenne continue toujours de dépendre des fonctions supports de la cour d’appel de Fort-de-France pour ses activités budgétaires et financières.
En 2009, les avocats du barreau de la Guyane ont fait basculer le destin judiciaire guyanais. J’aime cette pensée d’Henri Bergson qui guide mes actions et mes combats républicains : « Que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire. ».
Le temps n’est-il pas venu enfin de s’attaquer aux problèmes de fond de ce territoire et de redonner du sens à une institution judiciaire guyanaise qui doit être, en tout état de cause, réellement calibrée pour faire face aux problématiques sociétales multiformes et aux défis hors normes auxquels lui renvoie son bassin amazonien et sud-américain ?
En ces dix ans de création passés inaperçus, j’adresse un très grand merci à tous mes confrères et à leur mobilisation très forte menée en 2009, mobilisation sacrificielle sans laquelle il n’y aurait point de cour d’appel de Cayenne aujourd’hui.
Patrick Lingibé
Bâtonnier en 2008 et 2009