À Cacao, dans les pas des agriculteurs
JEUDI EN COULISSES

À Cacao, dans les pas des agriculteurs

Marine JACQUES
La dachine est aussi difficile à récolter que la piste menant à l'exploitation des Lau à traverser. Aménagée par les militaires pour les forestiers, elle est aujourd'hui largement ravinée (RN)
La dachine est aussi difficile à récolter que la piste menant à l'exploitation des Lau à traverser. Aménagée par les militaires pour les forestiers, elle est aujourd'hui largement ravinée (RN)

Premier volet de notre série sur le marché de Cayenne. Une de nos équipes est partie en reportage à Cacao pour vivre une matinée de récolte avec un couple d'agriculteurs : Patrice et Marie Lau. Nous les avons suivis au bout de la piste accidentée qui mène à leur exploitation. Chadecks, dachines, bananes, coco... ils travaillent dur pour garnir les étals du marché.

Patrice Lau est au rendez-vous, place du marché à Cacao. Les étals vides contrastent avec l'effervescence du dimanche matin. Il regarde la petite voiture de ville avec laquelle nous avons fait le trajet depuis Cayenne, le sourire en coin : « ça ne va pas le faire » . À bord de son pick up, nous comprenons vite pourquoi. La piste qui mène à son exploitation, en direction du saut Bief, est creusée par la pluie et le passage régulier des véhicules tout terrain. Les nids de poules sont dix fois plus gros que le gabarit du volatile. Une heure est nécessaire pour effectuer 8 km. « Ce serait bien que la piste soit refaite mais la Ville de Roura est endettée et, en fait, on ne sait pas vraiment à qui appartient la route car elle a été aménagée à l'époque par les militaires pour les forestiers » , relate Patrice Lau. Il roule doucement, ce qui permet d'apprécier la beauté du paysage.
« L'ANNÉE DERNIÈRE, J'AI VU QUATRE ANACONDAS »
Des deux côtés de la piste, la nature est luxuriante. Un maraîcher travaille ses légumes, l'une de ses voisines débroussaille à coups de rotofil tandis q'un serpent chasseur traverse tranquillement avant de disparaître dans les herbes. « L'année dernière j'ai vu quatre anacondas » , raconte pour l'anecdote Patrice Lau. Des arbres à ramboutans arborent les derniers fruits de la saison. Patrice Lau nous emmène un peu plus loin, sur une de ses parcelles d'environ trois hectares. C'est là que poussent les chadecks, ces savoureux agrumes que l'on retrouve chaque semaine au marché de Cayenne. En ce mardi, veille de marché, Patrice Lau et son épouse Marie doivent cueillir ceux qui sont assez mûrs pour être vendus le lendemain. Équipés d'une longue perche de cueillette, ils détachent les agrumes des branches. Certains sont si chargés, qu'ils se cassent.
CHADECKS ET DACHINES À PERTE DE VUE
Les chadecks tombent et roulent sur le sol mais ne s'abîment pas, leur peau épaisse les protège. Marie Lau les ramasse et les charge dans le bac en plastique qu'elle porte comme un sac à dos. « Ce n'est pas aussi lourd que des kilos de citrons » , assure-t-elle couverte des pieds à la tête pour se protéger du soleil. Elle charge la remorque du pick up. C'est bientôt la mi-journée, les températures grimpent. Les époux Lau feront une pause à midi. En attendant, ils continuent la cueillette et en profitent pour arracher quelques lianes parasites qui puisent les nutriments de l'arbre. Selon Patrice Lau, l'usage des pesticides est une idée reçue : « les produits ne sont pas homologués, alors on n'en met pas » . Il utilise, en revanche, de l'engrais chimique. Une orchidée sauvage orne l'une des branches. C'est un parasite aussi mais « un beau » alors le producteur l'épargne.
« IL FAUT AVOIR LE MENTAL ET LE COURAGE »
En contrebas du verger de chadecks, une vaste plantation de dachines s'offre à la vue. Patrice Lau n'a pas prévu d'en ramasser aujourd'hui. En général cela se fait deux jours avant le marché, pour avoir le temps de bien nettoyer les tubercules. Mais il tient à nous montrer comment elles se récoltent. Avec ses bottes en caoutchouc, il s'enfonce dans le champ marécageux jusqu'aux chevilles. Il assène des coups de machette, fabriquée par un artisan-coutelier hmong. Puis il tire avec force, le dos courbé. L'exercice est physique. « Vous n'êtes pas que deux à effectuer ce travail quand même ? » , demandons-nous naïvement. « Si, si, durant le week-end aussi » , répond-t-il. Quant aux vacances ou aux arrêts maladies, difficile d'y penser car ils savent qu'ils ne peuvent être remplacés durant leur absence, les autres producteurs ayant déjà leur propres exploitations à entretenir. « On a besoin de main-d'oeuvre, mais les écoles ne forment que des élites, elles ne préparent pas au métier d'ouvrier » , estime Patrice Lau.
Peut-être qu'un jour il se fera aider de ses enfants, comme lui a aidé ses parents dès l'âge de 10 ans. Mais il préfère prévenir : « il faut avoir le mental et le courage de le faire » . Malgré tout, Patrice Lau aime son métier. Il aime produire par ses propres moyens, contribuer à l'économie locale, et retrouver les consommateurs chaque semaine au marché de Cayenne. D'ailleurs, il faut finir les dernières cueillettes car demain, il devra être au marché de la ville capitale dès 4 heures du matin. France-Guyaney sera aussi et vous fera vivre l'installation du marché de Cayenne dans l'édition du jeudi 3 mai.


(RN)
(RN)
Patrice Lau ne ménage pas ses efforts dans les vergers et ce depuis son plus jeune âge (Ramon Ngwete)
Patrice Lau ne ménage pas ses efforts dans les vergers et ce depuis son plus jeune âge (Ramon Ngwete)
Certains chadecks sont tellement mûrs qu'ils se détachent sans que Marie Lau n'ai à forcer (Ramon Ngwete)
Certains chadecks sont tellement mûrs qu'ils se détachent sans que Marie Lau n'ai à forcer (Ramon Ngwete)
Bio express
Si Patrice Lau n'a aucune formation diplomante, il bénéficie, en revanche, du précieux savoir faire que ses parents lui ont transmis. Arrivés en Guyane en 1977, ils sont les pionniers de l'agriculture hmong à Cacao. Quand il avait 10 ans, Patrice Lau aidait ses parents comme il le pouvait. Il a repris l'activité à l'âge adulte. Aujourd'hui âgé de 35 ans, il dit ne plus faire partie des jeunes agriculteurs. D'ailleurs, il a passé le flambeau de la présidence du syndicat des jeunes agriculteurs à Gabriel Siong, l'année dernière. Patrice Lau garde cependant son mandat d'élu à la Chambre d'agriculture jusqu'à la prochaine élection en janvier 2019. S'il a accepté de répondre aux questions de France-Guyane, c'est parce qu'il souhaite faire connaître son métier : « pour que les Guyanais savent ce qu'on apporte » . Selon lui, cette visibilité pourrait être un moyen de changer les idées reçus sur les agriculteurs de Cacao et d'améliorer leurs conditions de travail.
(Ramon Ngwete)
(Ramon Ngwete)

Suivez l'info en temps réel
sur l'appli France-Guyane!

Télécharger