Dèyè mask : Marie-Laure Phinéra-Horth, Quelle carnavalière êtes-vous ?

Dèyè mask : Marie-Laure Phinéra-Horth, Quelle carnavalière êtes-vous ?

Christelle Auguste / photos K.V/H.G

Après Jean-Claude Darcheville, le footballeur, les femmes maires de Guyane se prêtent à l'interview Déyè mask. Cette semaine, Marie-Laure Phinéra-Horth pour Cayenne que les curieux ont plus de chance de retrouver aux abords du village Nana qu'à l'intérieur du dancing.

TV Magazine : Comment vivez-vous votre carnaval ?
Marie-Laure Phinéra-Horth : Je ne suis pas carnaval, même si je suis consciente que c'est une base importante de notre culture. Je n'ai pas été éduquée dans le mythe du carnaval. Si je peux évoquer mes souvenirs, quand j'étais petite, mes parents nous emmenaient toujours à la même place, rue François Arago, où mon père garait sa voiture. Soit on y restait, soit on se mettait sur le trottoir. J'y retrouvais des amies, des copines de classe. À cette époque, il n'y avait pas cette foule et tout ce qui s'est adjoint : la violence, par exemple, les addictions… pas de rue dénuée de voitures, non plus, on avait le droit de stationner parce que la cavalcade avait lieu dans toutes les rues, ce qui permettait aux personnes âgées de rester devant leurs portes.
Vous défiliez ?
Mes parents étaient contre les bandes de Touloulou. Je peux quand même dire un petit secret. En classe de terminale, je me suis octroyé le droit de leur mentir et d'intégrer un groupe. D'ailleurs, je suis passée à côté d'eux, ils ne m'ont pas vue, même avec mes lunettes, mais je pense que mon père aurait eu du mal à se dire : « C'est ma fille qui est là ! » J'ai beaucoup apprécié.
Et depuis ?
Je défilerai cette année encore avec mes collègues élus pour la Grande parade de Cayenne le dimanche 19 février.
Les dancings, quelle expérience en avez-vous ?
Et bien, lorsque je suis devenue adulte et responsable de moi, des amis m'ont entraînée dans un dancing mais j'avoue que je n'ai pas apprécié. J'y ai fait deux à trois heures. Déjà par principe, ça me gênait d'inviter un homme, je l'ai fait pour jouer le jeu mais j'ai été déçue. Si je ne suis pas dancing, je participe au Village Nana où je vais pour l'ambiance et manger, aussi. J'aime beaucoup les ti-nains et queues de cochon, en fait. Et le samedi, je vais plutôt en boîte de nuit, pas forcément pour danser d'ailleurs mais pour y retrouver des amis.
Qu'est-ce qui vous a tant déplu ?
Les trois ou quatre cavaliers avec lesquels j'ai dansé ont cherché à me tripoter. Depuis, je n'ai plus remis les pieds dans un dancing. Non vraiment, la danse, ce n'est pas mon truc. Je trouve qu'on ne joue pas le jeu de ne pas se faire reconnaître, de se masquer la voix aussi, c'est dommage qu'on perde ce côté-là. Je vois aussi autour de moi des couples qui se défont parce que c'est ça maintenant : « Ce monsieur me plaît, j'attends le carnaval…»
Danser, ce n'est pas votre truc en général ?
Non, pour le carnaval. Je suis plutôt classique en matière de danse, une belle mazurka, un boléro, un petit zouk… De toute façon, le carnaval a évolué, ce n'est plus le même aujourd'hui. D'ailleurs, en tant que maire, j'essaie de lui redonner un nouveau visage avec, pour la première fois cette année, la tenue des États généraux du carnaval, (ndlr : les 11 et 12 janvier à la mairie de Cayenne) parce qu'on s'est rendu compte qu'il y a beaucoup de violence, en particulier chez les jeunes qui s'y installent, suite aux addictions à l'alcool ou autre.
C'est ce qui vous interpelle le plus en tant que maire ?
Oui, on dépense beaucoup d'argent en terme de sécurité, aussi bien pour la sécurisation des groupes que celle des spectateurs*. On ne va pas regarder la cavalcade pour rentrer chez soi blessé ou agressé. Il faut savoir pourquoi ça se passe comme cela pour apporter des solutions et aussi de redonner aux gens le concept du vrai carnaval. La ville de Cayenne a cet objectif de sécurité et essaie aussi de soutenir les groupes pour retrouver dans ses cavalcades les costumes d'antan, comme le Zombibaréyo…
Voyez-vous un choc de générations à ces dérives ?
Oui et pas seulement, c'est un problème sociétal et de multi-culturalité aussi, avec les flux migratoires que nous connaissons. Je ne comprends pas comment on va défiler avec une gourde de rhum et faire croire que c'est de l'eau. Quand je me positionne aux départs de certains groupes, je vois bien ces échanges de joints, l'alcool… Il m'arrive d'interpeller des gamins que je connais. Vous savez ce qu'ils me disent : « C'est le style, Madame ». Je crois que c'est une responsabilité collective. Il faut lancer un message aux parents, il y a beaucoup de démission, aux pédagogues. Il y a aussi l'influence extérieure et la personnalité du jeune qui joue. Cayenne subit aussi la centralité, les phénomènes de bandes et les charges qui vont avec. C'est pourquoi, cette année, je n'ai pas autorisé l'espace public de la place Mentel, ce sera seulement les jours gras. Pareil pour le circuit qui sera ces jours-là rue Lalouette et l'avenue Léopold Héder parce qu'il y a plus de monde qui vient voir le carnaval à la fin.
Vous parliez de nouveaux visages du carnaval. Quel sens lui attribuez-vous ?
D'abord celui qu'un Touloulou, c'est quelqu'un qui est masqué et qui fait partager aux autres le plaisir de voir de beaux costumes, des couleurs, de la créativité pour moi, c'est ça. Ensuite, ce que j'aurais aimé retrouver également, c'est le côté satirique du carnaval dans les chansons, dans les costumes également. Il y a des phénomènes sociaux qu'on peut se remémorer pendant cette période et je vais l'encourager auprès des comités. À mon époque, je me souviens qu'on entendait chanter « Tchou entel ka pri difè …», en parlant des élus. Ce n'était pas méchant, ça faisait rire. On était là pour s'amuser et pas pour régler des comptes, se battre, comme le font les voltigeurs derrière certains groupes très connus. On pourrait même faire une chanson sur moi que cela ne me gênerait pas, ni même un masque. Quand on est une personne publique, on est à la portée de tout et le carnaval, c'est aussi la période où tout est permis. Par contre, je ne sais pas si les masques à l'effigie des personnages politiques se font toujours.
Emmeniez-vous vos enfants voir les défilés ?
Oui, je les emmenais voir le carnaval. Je suis mère de deux garçons (ndlr : de 29 et 24 ans). On sait que le genre est réputé turbulent. Ce que je déplore également aujourd'hui c'est qu'après la cavalcade, des enfants de 12 à 15 ans sont encore dans la rue mais où sont les parents ? Quand, en tant que maire, je m'arrête à côté de ces enfants et que je leur demande, ils me répondent : « Les parents s'amusent, on a quartier libre. » Ce n’est pas comme cela qu'on va y arriver.
Quand mes fils ont eu 13 ans, ils m'ont dit : « On ne sort plus avec toi, parce qu'on estime qu'on est plus des gamins », mais je faisais la leçon de morale. Je leur expliquais qu'ils pouvaient se retrouver entre amis, aller boire une glace, rigoler, donner la blague mais pas boire de l'alcool. Ce ne sont pas des garçons exceptionnels, mais je les ai élevés seule et j'estime que j'ai réussi sur ce point.
Le vidé du dimanche si sollicité à Cayenne, il n'y a vraiment pas de solution ?
Je comprends cette demande, des idées ont été avancées. Un orchestre nous a fait une suggestion cette année. Mais le vidé du dimanche après-midi à Cayenne, c'est bien fini. Bien sûr que nous aimerions retrouver les gens qui défilent à Cayenne, tranquillement, mais franchement, j'ai peur de la montée de violence, des règlements de comptes entre quartiers.
Vous êtes plutôt soupe ou galette ?
Soupe du dimanche.
Votre titre préféré de la saison 2011 ?
Quéquette, son titre était pas mal (ndlr : Magotan, album Métamorphose); cette année aussi d'ailleurs.
Vous écoutez à la maison ?
À la radio.
Et sur votre portable, une sonnerie de saison, peut-être?
(Elle rit) Ce n'est pas une musique de carnaval. C'est David Craig et je ne vais pas en changer.
Quel est votre personnage traditionnel de prédilection ?
Les Nèg marron parce que c'est authentique et que ça rappelle l'histoire. J'ai toujours rêvé d'essayer. José Blézès me l'avait proposé une fois, mais j'avais peur pour ma peau. D'ailleurs, les groupes devraient en avoir chacun derrière eux, cela dissuaderait les voltigeurs, à l'arrière. Avant, ils faisaient aussi la police des groupes.
Les soirées Tololo, qu'en pensez-vous ?
J'admire beaucoup les femmes qui y vont mais, jamais je n'irai. Dieu seul sait comme ces soirées ont du succès. Surtout que les cavalières y vont un peu dénudées alors, même quand on me dit : « Madame le Maire, soyez moderne ! » Non, je suis plutôt vieille femme.
Les ambiances parking aux abords des dancings ?
On peut apprécier la sympathie, la convivialité et l’esprit de fête qui se dégagent de ces réunions entre amis. Toutefois, il s’agit d’un manque à gagner pour les organisateurs de bals qui incontestablement perdent une partie de leur recette, alors qu’ils ont l’obligation de payer des taxes et impôts liés à leurs activités.
On l'a bien compris vous êtes de ceux pour qui le carnaval d'antan c'était mieux avant…
Je l'assume. Je suis favorable à l'évolution mais je préfère le carnaval d'antan. C'était sain, un vrai spectacle, il y avait ce côté burlesque. On ne va pas le retrouver certes, mais on peut y remettre l'esprit. Avec ces États généraux, justement, on veut retrouver les fondamentaux du carnaval auxquels je tiens franchement. On va faire du rabâchage, du rabâchage. C'est une demande que j'ai faite à l'Union (ndlr : URCFCG : Union régionale des comités festivals et carnavals de Guyane), que les groupes mettent les logos de leurs partenaires sur les banderoles oui, mais des tee-shirts publicitaires, je dis mais non ! Les touristes ne viennent pas voir cela. Il y a des groupes qui font l'effort et que les entreprises privées peuvent accompagner.

*75 000 euros, c'est le coût dépensé par la ville de Cayenne pour assurer la sécurité sur les sites carnavalesques et derrière les groupes.

La rédaction du TV Magazine remercie Karen Chou-Tiam pour la réalisation du maquillage et Guy Benth, plasticien, pour celle de la fresque murale de saison, en décor de notre rubrique.

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