Un premier tour qui abîme la légitimité et donne de l'importance au report de voix
Législatives 2022

Un premier tour qui abîme la légitimité et donne de l'importance au report de voix

Gérôme GUITTEAU ; g.guitteau@agmedias.fr
La coalition macroniste Ensemble! obtiendrait le plus de sièges à l'Assemblée nationale au terme des élections législatives, mais sans certitude d'obtenir la majorité absolue de 289 sièges, selon les premières projections
Le second tour des législatives offre un suspens haletant dans les deux circonscriptions. L'Assemblée nationale est dans la ligne de mire des quatre derniers candidats. • JOEL SAGET (AFP/ARCHIVES)

Avec 20,77 % et 31,30 % en leur faveur, Yvane Goua et Lénaïck Adam sont en ballotage favorable. C'est l'expression consacrée qui indique le gagnant du premier tour. Pour autant, le chemin jusqu'au Palais Bourbon est encore long.

Ce n'est même pas 1% de la population et vous dîtes que la majorité silencieuse a parlé ?
Le commentaire d'un internaute face à l'analyse produite concernant le premier tour des législatives de samedi 11 juin remettait en cause l'aspect massif du message envoyé par les Guyanais.
Avec 3 122 voix pour elle, Yvane Goua, effectivement, ne peut pas se targuer de parler pour toute la Guyane. Mais à ce jeu là qui le pourra ?
Malheureusement, les électeurs ne se sont pas mobilisés. l'abstention est trop forte. Je vous ai parlé de la légitimité partielle. On va dans cette voie là. Souhaitons que la participation soit plus importante au second tour pour que le vainqueur obtienne assez de légitimité afin d'avoir assez de légitimité, de poids devant le gouvernement et les instances locales”, regrette Jean-Victor Castor dès la proclamation des résultats, alors qu'il apprenait qu'il serait au second tour du samedi 18 juin.
Si le pourcentage donné par le commentateur est plutôt vrai, il n'en reste pas moins de mauvaise foi.
Premièrement, les 3 122 voix appartiennent à un bassin de 56 995 électeurs donc la gagnante du premier tour représente 5,47% des inscrits, moins bien que Gabriel Serville et Joëlle Prévôt-Madère en 2017 avec respectivement 6,71 % et 6,06%.
Cela était déjà très peu, surtout quand il a fallu critiquer le président de la République sur le fait qu'il n'avait été élu qu'avec 25 % des voix en 2017...
Si l'abstention devenue traditionnelle en Guyane est un souci, il en cache un autre tout aussi grave, les adultes non-inscrits sur les listes électorales.
Si grosso modo on part du principe que la population s'élève à 300 000 personnes, comment le nombre d'inscrits ne dépasse pas allégrement la barre des 103 000 dans les deux circonscriptions réunies ?
Il y a 85 149 élèves enregistrés au rectorat. On peut ajouter les 11 000 non scolarisés établis par l'Unicef puis repris par le défenseur des droits. Donc nous avons une population de moins de 18 ans qui avoisine les 96 000 individus. Evidemment, quelques élèves en terminale ou en CFA ont plus de 18 ans. Beaucoup de jeunes adultes ont depuis longtemps quitté les bancs de l'école.
Pour autant, le chiffre ne doit pas être si éloigné de ce calcul. Il reste donc 204 000 personnes en âge de voter... et seulement la moitié, très approximativement, est inscrite auprès des services étatiques.
Vertigineux.
Comment développer un système représentatif “légitime” dans ce contexte ? A quoi bon, finalement, obtenir un troisième député si c'est pour qu'il soit élu avec un nombre de voix non représentatif ?
Deux scrutins indécis
Samedi, la participation devrait être meilleure au second tour. On avait gagné 6 points dans la 1ère et 9 points dans la seconde en 2017.
Les gens ne sont pas allés voter, car ils avaient tous 6, 7, 8 amis comme candidats et par loyauté ne voulaient pas choisir. Nous, avec 18 candidats, c'était difficile ", constate la sénatrice Marie-Laure Phinera-Horth.
On verra donc le 18 juin au soir, si les Guyanais ont voulu donner une légitimité plus forte à nos députés.
La participation pourrait être accrue du simple fait que les deux scrutins sont intellectuellement intéressants et comportent des enjeux de représentation majeurs.
Avant de se projeter dans ce duel, les candidats tentent d'obtenir des garanties sur ce qu'ils peuvent maîtriser : les voix du premier tour.
Il y a cinq ans, les places à l'Assemblée nationale s'étaient jouées à 56 voix et 290 voix. Donc tous les votes comptent. Personne ne fera la fine bouche sur un soutien d'un des 23 candidats.
A ce jeu-là, le grand gagnant pour l'instant se nomme... Davy Rimane.
Manuel Jean-Baptiste, le troisième du scrutin, a immédiatement appelé à voter pour son ancien camarade de lutte. Le quatrième du scrutin, Christophe Yanuwana Pierre a décidé de lui apporter, lundi, ses 1 312 voix. En moins de 48 heures, il a potentiellement ajouté 2 737 votes, de quoi combler largement son retard de 1 200 voix au soir du premier tour.
Le candidat investi par Les Républicains, Jean-Philippe Dolor ne s'est pas encore exprimé. Il compte 1 303 voix. Pas de consigne de vote non plus en ce qui concerne Jenny Bunch et ses 149 voix. La candidate soutenue par Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan explique : "les guyanais éliront la personne qu'ils trouvent bon de les représenter à l'Assemblée."
Des consignes de vote suivies?
Le cas de la seconde circonscription pose la question de la pertinence de ces consignes de vote. Lors des présidentielles, on a bien vu que le “pas donner une voix pour madame Le Pen”, scandé cinq fois par Jean-Luc Mélenchon n'a pas été respecté dans les Outre-mer et particulièrement chez nous.
Que vaut une consigne de vote à Grand-Santi quand Davy Rimane n'a pas recueilli une voix ? Pareil, pour Lénaïck Adam à Maripasoula. L'inconnue du vote de samedi dans l'Ouest reste encore une fois la voix de la capitale : Saint-Laurent. Davy Rimane dépasse à peine les 5%. Il est donc difficile de le voir avec 39% des voix, cumul qui respecterait intégralement le report de voix attendu, une semaine après.
Le vote par bassin de vie est tellement caricatural dans cette circonscription que le second tour, avec ces consignes de vote données constitue une énigme.
Est-ce que la sensibilité politique comblera les kilomètres qui éloignent Davy Rimane de la réalité saint-laurentaise ? Est-ce que le rejet d'Emmanuel Macron sera plus fort que le sentiment d’une appartenance collective qu'elle soit culturelle, géographique, linguistique ou urbaine ?
Des consignes de vote en faveur de Jean-Victor Castor
Dans la première circonscription, les consignes de vote sont pour l'instant en faveur de Jean-Victor Castor, qui compte 521 voix de retard.
Le soir même Jessika Delar-René avait le droit de s'entretenir avec le second du scrutin,au sein de son QG. Elle appelait ses 112 électeurs à voter pour lui.
Un peu plus tard, Jérôme Harbourg, s'est présenté, au QG des Chaînes-brisées à Cayenne, offrant une scène assez cocasse. Pas de discussion avec Jean-Victor Castor pas de visite des lieux, une poignée de main jugée peu virile par le remplaçant de Jérôme Harbourg mais 817 voix potentielles de plus au compteur.
Nouvelle force de Guyane soutient aussi le cofondateur du Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale (MDES). “Un soutien appuyé au seul candidat qui saura montrer de l'efficacité, de la compétence et de la constance” affirme le parti de la sénatrice Marie-Laure Phinéra-Horth et ancien édile de Cayenne.
Mylène Mathieu votera aussi pour le sexagénaire.
Il entend transcender la fonction de député notamment en exportant la situation de la Guyane au niveau international. Il me fait penser à d'autres illustres élus qui n'ont pas hésité, eux non plus, à dépasser les limites de leur mandat pour répondre aux besoins des Guyanais.
Par ailleurs, JVC a œuvré depuis plus de trente ans pour permettre à la conscientisation et l'éveil du peuple guyanais. C'est ce travail qui a, en partie, permis aussi la mobilisation de 2017. J'ai vécu 1992, 1996, 2001, 2008, 2013 et enfin 2017. Ils ont été constants, cohérents. Il est juste qu'il récolte le fruit d'un travail de longue haleine
”, décrète l'infirmière libérale qui a cumulé 179 voix.
Pour qui va voter Peyi Guyane?
La consigne de vote la plus attendue concerne celle de Peyi Guyane, moins par l'enjeu électoral que par le message que souhaite envoyer le parti du président de la Collectivité territoriale Gabriel Serville.
Une conférence de presse était prévue à 16 heures ce 13 juin. Elle a été annulée au dernier moment. La décision serait reportée à mercredi d'après Lucien Alexander, élu territorial du parti. “Si c'est avant on vous fera signe. Je ne ferais pas plus de commentaire”, nous a-t-il plusieurs fois répété.
La décision de soutenir un candidat d'un parti de la majorité territoriale ne va donc pas de soi. Un parti qui possède deux vice-présidentes dont la cheffe de groupe Samantha Cyriaque mais pas Yvane Goua, ni Olivier Goudet.
La salariée de l'association Trop'Violans était présente lors de l'union des listes en 2021.
« Nous sommes en relation avec la liste de Jean-Paul Fereira. Nous tentons de réaliser cette union car si nous sommes une association apolitique, il est clair qu’on est contre Rodolphe Alexandre » confiait la militante à Guyaweb à l'époque.
De source sûre et vérifiée, Yvane Goua avait mis dans la négociation trois noms qu'elle voulait voir en position éligible. Dans ses noms, celui de...Jean-Victor Castor.
Elle n'avait pas complètement obtenu gain de cause mais des promesses de soutien lors de futures législatives avaient été rapportées. "Des rumeurs sans fondement", pour les proches du président Serville.
De soutien, il n'y en a pas eu au premier tour qu'en sera-t-il au second tour ?
"Nous devons avaler une sacrée couleuvre"
De l'autre côté, on sait que Gabriel Serville et Jean-Victor Castor ne partiront pas en vacances ensemble, selon l'expression. Le MDES « avait réalisé une liste commune lors des Municipales avec Gabriel Serville en 2014 à Matoury. Une union couronnée de succès dans les urnes mais qui n’avait pas duré longtemps à l’épreuve du pouvoir. Un souvenir qui a empêché l’union de la gauche dès le premier tour pour les Territoriales 2021 », écrivait Guyaweb en juin 2021.
Pendant les négociations d'union des listes, le MDES ne trouvait pas de position éligible pour son secrétaire général Fabien Canavy, finalement 11e à Cayenne.
« Nous devons avaler une sacrée couleuvre (…), mais pour le bien de la Guyane nous devons la digérer et faire cette union. Nous avons une opportunité de renverser Rodolphe Alexandre » reconnaissait un membre du parti trentenaire dans le même article.
Voilà donc les raisons de l'hésitation de Peyi Guyane : des brouilles passées, un attachement à la société civile qui acclamait Gabriel Serville devant la préfecture au cri de : « Notre député », en 2020 et qui l'a aidé à être élu à la CTG et l'équilibre de sa majorité territoriale à maintenir.
Pendant ce temps, les candidats battent campagne pour vaincre l'abstention et convaincre les électeurs du second tour.
Gabriel Serville avait gagné en 2017 avec 7500 voix. Il en faudra sûrement un plus lors de ce scrutin puisque la liste des inscrits a gagné 3 000 voix et la participation devrait être en hausse.
Il s'agit donc de convaincre au moins 4 500 personnes en plus pour Yvane Goua et près de 5 000 votants supplémentaires pour Jean-Victor Castor.
Peut-être faudra-t-il commencer par les électeurs de Joëlle Prévôt-Madère et Boris Chong-Sit qui ne donneront pas de consignes de vote : 4077 voix laissées libres de jouer l'arbitre dans un match qu'ils n'ont sûrement jamais imaginé, même dans leur pire cauchemar : envoyer à l'Assemblée nationale, un anti-impérialiste biberonné aux idéaux révolutionnaires d'après guerre ou une activiste régionaliste sans filtre, aux limites inconnues.

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