Les jeunes Amérindiens, plus nombreux à se suicider

Les jeunes Amérindiens, plus nombreux à se suicider

Pierre-Yves CARLIER
Les Amérindiens sont davantage touchés par le suicide des jeunes que le reste de la population française (photo d'archives)
Les Amérindiens sont davantage touchés par le suicide des jeunes que le reste de la population française (photo d'archives)

Après le suicide d'une adolescente dimanche soir, l'heure est aux questions. Le suicide chez les Amérindiens a fait l'objet de quelques études.

Un jeune, une pendaison. Le suicide de dimanche soir à Trois Sauts (Camopi) trouve un écho dans une étude présentée début août, pour les Journées des peuples autochtones de Guyane, à Cayenne. Elle porte sur les 44 suicides survenus chez les Amérindiens du Haut-Maroni entre 1970 et l'an dernier.
Réalisée par Rachel Merlet, de l'association Ader, elle montre que la moitié de ces actes ont été commis par pendaison et qu'une très large majorité (28) est le fait de personnes de moins de 25 ans. Seule différence : la majorité des victimes étaient des hommes (27). Autre constat : Antecume Pata est le village le plus touché (11 suicides) devant Talhuen, Élahé et Anapaïké (6). Pour l'heure, aucune étude n'a été menée sur le Haut-Oyapock, où s'est déroulé celui de dimanche soir.
Si les études sont rares en Guyane, le phénomène enregistré chez les Amérindiens du département se rapproche de celui constaté chez les Aborigènes australiens, chez les Hawaïens et chez les peuples autochtones du Canada et des États-Unis. En cause : les difficultés d'accès aux centres de santé, la fréquence des troubles mentaux, l'alcoolisation.
« LES ÉCHECS ET DEUILS VÉCUS DE MANIÈRE PLUS CUISANTE »
Joëlle Tinaut, qui prépare une thèse de psychologie sur les tentatives de suicide chez les Amérindiens de Guyane, liste les facteurs pouvant favoriser le passage à l'acte : « Chômage, mauvaises conditions environnementales, agressions sexuelles, accès limité aux centres de santé. [...] Ils sont en difficultés par rapport aux événements stressants et pour gérer les processus d'adaptation à la société. Les échecs, deuils et traumatismes sont vécus de manière plus cuisante. Ils ont accès aux moyens létaux plus facilement. »
Les jeunes rencontrent une difficulté de plus : « Ils se retrouvent tiraillés entre les attentes des familles et les attentes de l'école. Un événement peut décider un jeune à se donner la mort subitement. »
LES FAITS
- Suicide d'une Amérindienne de 14 ans
Une adolescente de 14 ans s'est suicidée, dimanche soir, dans le village amérindien de Trois-Sauts, tout au sud du département sur l'Oyapock. Selon les témoignages recueillis, l'adolescente se serait disputée avec sa famille et aurait pris la fuite. Elle a été retrouvée pendue à un arbre vers minuit par des proches. Un tissu a été retrouvé dans sa bouche. Il s'agirait d'un rite amérindien appliqué aux défunts par les vivants. Les gendarmes continuent leur enquête sur ce nouveau drame qui frappe la communauté amérindienne. Les militaires devaient se rendre sur place hier en hélicoptère. Les conditions météo les ont contraints à reporter le déplacement à demain. De son côté, le médecin qui a constaté le décès n'a rien relevé de suspect. Le frère de l'adolescente avait mis fin à ses jours l'an dernier.
La difficile prévention
Lutter contre les suicides sur le Haut-Maroni est compliqué. L'association Ader essaie de le faire, depuis sa création en 2009. Elle a recruté Emmanuel Tokotoko, d'Élahé, qui a été l'un des premiers a tiré la sonnette d'alarme sur le sujet.
En 2011, l'association crée un collectif de sentinelles. Il s'agit de « personnes formées et soutenues pour repérer les personnes suicidaires et les accompagner vers les aides » . Les premières sentinelles sont formées en 2012, à Maripasoula. Au moment des Journées des peuples autochtones, la commune en comptait douze. Elles suivaient 75 personnes, dont 46 dans les villages du Haut-Maroni.
« La démarche participative est difficile à mettre en oeuvre, regrette Rozenn Le Pabic, directrice des programmes d'Ader. Il est difficile d'en voir les résultats, le programme coûte cher, prend beaucoup de temps et il n'est pas évident de faire participer des gens qui sont à trois heures de pirogue. »
Autre difficulté : les finances. « On doit rechercher des financements chaque année. C'est incessant, c'est une grosse part de notre travail et il y a une grosse part d'incertitude. On ne sait pas du tout si on pourra continuer. »
113
La Guyane a enregistré 113 suicides et tentatives entre 2009 et 2012. À la différence du Haut-Maroni, les femmes sont légèrement majoritaires dans le reste du département. Sur le Haut-Maroni, la pendaison et l'arme à feu sont les moyens privilégiés. Ailleurs, ce sont intoxications (médicaments, pesticides).
Dans l'Hexagone, on compte un suicide par an pour 5 000 habitants. Sur le Haut-Maroni, c'est un pour 200 habitants. « Si le taux de prévalence du suicide sur le Haut-Maroni était le même en métropole, il y aurait 300 000 suicides par an. Soit autant que d'habitants en Guyane » , note Rachel Merlet, coordinatrice chez Ader.

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