Baleineau égaré : Sea Shepherd dit avoir une "impression de déjà-vu insupportable"

Baleineau égaré : Sea Shepherd dit avoir une "impression de déjà-vu insupportable"

Margot Hinry
Baleineau égaré dans la baie de Fort-de-France.
Baleineau égaré dans la baie de Fort-de-France. • JEFFREY BERNUS - CCS

Selon Sea Shepherd France, les scientifiques et acteurs locaux pour la biodiversité marine ont été "une fois de plus ignorés" par les autorités dans la prise de décision concernant le baleineau perdu dans la baie de Fort-de-France. L'ONG demande à ce qu'un protocole non invasif soit tenté pour sauver le baleineau.

"L'attractivité vers le large était la seule option possible" d'après la Préfecture qui relève dans un communiqué, "l'absence de réponse aux différents stimulus tentés".

 

En effet, après avoir suivi un jeune baleineau à bosse dans la baie de Fort-de-France depuis près d'une semaine, plusieurs stratégies ont été mises en place. D'abord, la préfecture a fait le choix, sur les conseils du RNE (Réseau National Echouages), de tenter de ramener le baleineau vers le large, pour qu'il puisse y retrouver sa mère. Les experts de la Caribbean Cetacean Society (CCS) ne partageaient pas le même avis. D'après leurs dires, l'emmener au large représentait un risque pour le jeune mammifère, sans certitude que sa mère puisse y être pour s'en occuper. La préfecture a finalement autorisé les équipes des associations locales telles que la CCS à mettre en place une stratégie d'hydratation et d'alimentation du baleineau. 

 

Des images de l'opération partagées par les associations sur place dévoilent un baleineau plutôt réactif au tuyau lui apportant un mélange d'eau et de lait. Cependant, après avoir consulté certains scientifiques dans le cadre de l'ECS (European Cetacean Society) qui se tient actuellement à Barcelone, le RNE a choisi de conseiller à l'état de ne pas réitérer cette stratégie, malgré la volonté des équipes de la CCS de continuer à le faire. En cause, selon eux, une absence de réponse de la part du baleineau égaré. "Est-ce qu'il a été réhydraté, je ne sais pas, mais ce qu'ont repéré les équipes sur place, c'est qu'il était réactif. Rien ne peut justifier que l'on arrête tout."  s'est insurgée la présidente de Sea Shepherd France, Lamya Essemlali. 

 

Tenter quelque chose ou laisser faire : les recommandations d'experts s'opposent 

 

Sea Shepherd France a pris la parole sur les réseaux-sociaux et à travers un communiqué pour réagir face à la décision du RNE de " laisser faire " et de ne plus rien tenter pour éviter de stresser l'animal et "respecter le cycle naturel". Nous avons échangé avec Lamya Essemlali par téléphone."Le problème c'est qu'il y a des avis d'experts anglo-saxons qui sont complètement ignorés, comme d'habitude. C'est toujours la même chose, c'est ce qui s'est passé avec l'orque dans la Seine, ou avec le béluga ou encore le phoque à Étretat. J'ai vraiment une impression de déjà-vu assez insupportable".

 

"Les experts partisans du laisser-faire qui conseillent l'État n'ont pas de réelle expertise sur le sujet. Ils se refusent à l'ouverture d'expertise internationale alors qu'il s'agit de vétérinaire, de comportementalistes animaliers qui ont 20 ans d'avance sur nous. C'est insupportable. Il faut que ça change !" interpelle Lamya Essemlali.

 

"Je ne suis pas dans une logique d'acharnement irrationnel, il faut simplement évaluer la situation avec des gens qui s'y connaissent un petit peu, déterminer les chances de survie de l'animal. S'il y a des chances qu'il survive, alors il faut tenter et mettre en place le protocole préconisé par des gens qui ont une légitimité et une expertise bien plus importante que celle que nous avons en France". 

 

L'expertise internationale à laquelle la présidente de Sea Shepherd fait référence, c'est notamment celle du Dr Diana Reiss, psychologue cognitive spécialiste des mammifères marins et professeur au département de psychologie du Hunter College et du Graduate Center de la City University de New York. D'après Lamya Essemlali, l'experte aurait suivi de près l'évolution de l'affaire du baleineau égaré en Martinique. Elle aurait par la suite écrit une lettre avec l'aide "d'une vétérinaire spécialiste en mammifères marins qui a fait de nombreux sauvetages" dans laquelle elles donnent un protocole pour venir en aide au baleineau. Cette lettre, Lamya Essemlali l'a envoyé au Ministère et à la Préfecture, sans retour. "La lettre a été complètement ignorée. C'est ça qui n'est pas admissible. Ces personnes ont une expertise dont on ne dispose pas en France, mais il semblerait qu'un petit groupe de personnes souhaite rester à l'âge de Pierre." 

 

Le baleineau se rapproche des coques de bateaux pour espérer y trouver de quoi s'hydrater ou se nourrir, selon les spécialistes sur place.
Le baleineau se rapproche des coques de bateaux pour espérer y trouver de quoi s'hydrater ou se nourrir, selon les spécialistes sur place. • JEFFREY BERNUS - CCS

 

Pour ce type de cas, les prises de décisions et les autorisations d'approches des cétacés sont régies par un groupe restreint de personnes. "Pélagis et RNE détiennent le monopole des autorisations (...) et c'est ça qui doit changer ! Ils n'ont ni les moyens humains, ni financiers d'intervenir de toute façon. (...) Les protocoles, c'est du boulot, ça demande du coût, de l'énergie, de la volonté. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas envie de le faire. Là, on est presque sur un dogme. Se décarcasser pour essayer de sauver un individu alors qu'il y a peu de chances de réussite, à leurs yeux, ça n'a aucun intérêt" selon Lamya Essemlali. "A la limite, on ne leur demande pas de le faire, mais qu'ils ne mettent pas de bâtons dans les roues à ceux qui ont la volonté et l'expertise pour le faire." 

 

D'après le communiqué de la Préfecture de la Martinique, un suivi en mer, sans intervention "active" est organisée depuis hier (mardi 18) avec l'aide des acteurs concernés et le soutien d'un navire de la SNSM. Ce suivi continuera "en fonction des témoignages recueillis".

 

Le préfet rappelle que les usagers sont invités à reporter les éventuelles observations du baleineau au CROSS Antilles-Guayne (05 96 70 92 92) et demande à toute personne qui l'aperçoit de garder ses distances. 

 

De son côté, Sea Shepherd demande à ce que le protocole non invasif "d'incitation à base de DMS (diméthyle sulfure) préconisé par un autre panel d'experts soit tenté, malgré les faibles chances de réussite et que des mesures anticipatoires soient prises afin de se tenir prêts à abréger les souffrances de l'animal en cas d'échouage".