En 1978, elle rentre en Guyane pour passer quelques jours de vacances après son DEA d'économie. Mais finalement ne repartira pas. C'est au Moguyde, Mouvement guyanais de décolonisation, qu'on la retrouve auprès de bon nombre de jeunes Guyanais. Ses prises de position vont lui valoir quelques ennuis à la suite des émeutes de Cayenne. Elle est obligée de vivre en « semi » clandestinité. « Tous les deux jours je devais changer de lieu, tout en trimbalant un bébé de deux mois » , raconte-t-elle. Ses détracteurs diront que c'est plutôt son mari, Roland Delannon, qui était recherché. Il passera dix-huit mois en prison, à la Santé.
Les législatives. « La première fois de ma vie que j'ai voté, c'était pour moi en 1993. J'étais indépendantiste, anti-électoraliste. » Quand Christiane Taubira se présente aux législatives pour la première fois, elle a 41 ans. « En 1992, lorsque je me lance dans la campagne des législatives, c'est parce que les gens ont organisé un mouvement populaire autour de moi, me demandant d'aller me présenter » , raconte-t-elle. Depuis 1981, c'est Élie Castor qui siège à l'Assemblée nationale. « J'ai le coeur déchiré et la tête en feu quand je vous vois à la merci des corrupteurs de la chair et de l'esprit » , écrit-elle dans sa profession de foi. Les Guyanais sont séduits par cet esprit vif et l'élisent à l'Assemblée nationale face à Rodolphe Alexandre.
Par deux fois Rémy-Louis Budoc a affronté Christiane Taubira aux législatives. Il en garde l'image d'une femme d'une « grande capacité de travail » et d'un « aplomb considérable » . Il avoue que les débats télévisés étaient de « grands moments de stress » pour ses adversaires tellement elle apparaissait à l'aise. En 2007, lors du débat du deuxième tour, Rémy-Louis Budoc s'emploie pour expliquer que Nicolas Sarkozy ne pouvait pas avoir fait appel à celle qui l'avait combattu pendant la présidentielle, pour un portefeuille ministériel. Il ne parvient pas à déstabiliser Taubira mais obtient, dès le lendemain, l'honneur d'être cité par le journal Le Monde. « Je me suis alors rendu compte que j'avais en face de moi une cliente sérieuse à l'aura nationale, voire internationale » , reconnait-il.
La loi. « Elle est rentrée dans l'histoire » et est « reconnue sur le plan international » . Cette reconnaissance dont fait état Antoine Karam, l'un des plus vieux adversaires politiques de Christiane Taubira, n'est pas pour la loi visant à interdire la fabrication, le stockage, la vente et l'usage des mines antipersonnel, votée en 1995. C'est pourtant la première loi Taubira. Le 10 mai 2001, après des années de combats, Christiane Taubira fait voter à l'Assemblée nationale le texte reconnaissant la traite négrière et l'esclavage comme crime contre l'humanité. Une loi qui met la députée en pleine lumière. Et pourtant... « En 2005, il y a une quarantaine de députés UMP qui ont signé un papier demandant l'abrogation de la loi » , raconte-t-elle. « Ce qui est important pour moi, c'est de savoir comment on l'applique. » Depuis 2006, le 10 mai est devenu la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage en France.
Les présidentielles. Depuis le début des années 2000, elle est de toutes les présidentielles. D'abord la sienne, en 2002. Les Radicaux de gauche décident de lancer Christiane Taubira dans la lutte entre Jacques Chirac, le sortant, Arlette Laguiller, Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen, pour ne citer qu'eux. La Guyane plébiscite l'enfant du pays au premier tour et Le Pen arrive au deuxième tour. Les socialistes vont la tacler sévèrement, estimant que les 2,32% de Taubira manqueront cruellement à Jospin.
Cela n'empêchera pas la Guyanaise de retrouver les socialistes, d'abord en 2007. Christiane Taubira était déléguée à l'expression républicaine de la candidate Royal. Puis elle a été aux côtés de François Hollande, tout au long de la campagne, en tant que porte-parole.
S'il a pu parler de « candidature exotique » en 2002, Antoine Karam estime aujourd'hui que c'est « une bonne chose qu'elle entre au gouvernement » . Et ne tarit pas d'éloges sur celle qu'il a combattue politiquement. L'ancien président de Région lui reconnaît une « qualité intellectuelle au-dessus de la moyenne » . Christiane Taubira figure parmi les deux personnalités politiques guyanaises qu'il admire. L'autre, c'est Georges Othily.
Elle représentait le Parti radical de gauche (PRG) alors qu'elle n'en était pas membre. Celle qui fut représentante particulière de François Hollande lors de la campagne présidentielle n'est pas non plus au Parti socialiste. Elle siège à l'Assemblée nationale comme apparentée PS, mais a aussi été dans sa carrière non-inscrite et inscrite au groupe RCV (radicaux, verts, communistes). Ce statut d'électron libre expliquerait qu'elle ait été approchée par l'entourage de Sarkozy en 2007.
Née à Cayenne en 1952, dans une famille modeste où sa mère élevait seule six enfants, Christiane Taubira est docteur es sciences économiques et en agro-alimentaire, licenciée en sociologie et certifiée d'études supérieure d'ethnologie afro-américaine.
« Femme, noire, pauvre, quel fabuleux capital! Tous les défis à relever. Une vie d'épuisement en promesse » , écrit-elle dans Mes Météores, son ouvrage paru en mars.
Cette petite femme énergique et élégante est une oratrice talentueuse, souvent lyrique, capable de parler sans notes. Mais elle est aussi réputée pour être autoritaire voire cassante et capable de colères mémorables. « Je suis franchement vive parce que j'ai de la passion » , a-t-elle un jour justifié, espérant que « les gens savent distinguer la passion de l'agressivité » . En 1994, elle porte déjà les couleurs du PRG sur la liste Energie radicale de Bernard Tapie aux européennes, avec laquelle elle remporte un siège de député au Parlement européen.
Elle a, en revanche, eu moins de succès dans les scrutins locaux : elle a échoué à deux reprises en 1995 et 2001 à prendre la mairie de Cayenne.
En 2010, elle perd le scrutin régional face à Rodolphe Alexandre. Polyglotte, Christiane Taubira revendique un triple ancrage : ses « combats locaux » , ses « engagements nationaux » et ses « solidarités internationales » .
Avec son mari Roland Delannon, dont elle est maintenant divorcée, elle a eu quatre enfants.
Christiane Taubira est à la Justice, Victorin Lurel aux Outre-mers et George Pau-Langevin est ministre déléguée à la Réussite éducative. C'est du jamais vu.
La grosse cote de ce gouvernement, c'est Christiane Taubira qui devient Garde des Sceaux et 3e dans le rang protocolaire du gouvernement. Elle avait soutenu Arnaud Montebourg lors des primaires. L'ancienne candidate à la présidentielle de 2002 et fondatrice du parti Walwari va occuper les prestigieux locaux de la place Vendôme.
Elle a été nommée Garde des Sceaux, alors que les noms d'Arnaud Montebourg ou Bertrand Delanoë circulaient. Elle était aussi, durant cette campagne présidentielle, un des quatre « représentants spéciaux » du candidat Hollande. Cette femme de caractère et d'une grande culture impressionne souvent son auditoire. Nombreux sont ceux qui ont été marqués par ses interventions à l'Assemblée nationale sans l'appui de notes.
Les trois ministres ultramarins sont, comme leurs collègues, prévenus : le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé que les ministres qui seraient battus aux élections législatives ne pourraient « pas rester au gouvernement » . Mais hier, Christiane Taubira ne s'était toujours pas prononcée sur sa candidature. A l'Outre-mer, Victorin Lurel reprend le portefeuille de Marie-Luce Penchard. Ces derniers mois, les deux Guadeloupéens se sont affrontés à coups de communiqués de presse. Leurs routes n'ont pourtant pas fini de se croiser. La fille de Lucette Michaux-Chevry ira affronter aux législatives Victorin Lurel dans la 4e circonscription de Guadeloupe, qu'il détient depuis 2002. François Hollande, que Victorin Lurel a soutenu dès les primaires socialistes, s'est engagé à limiter le cumul des mandats. Le nouveau résident de la rue Oudinot devra donc laisser la présidence du Conseil régional de Guadeloupe qu'il a ravie en 2004 à Lucette Michaux-Chevry et où siège, dans l'opposition, Marie-Luce Penchard quoiqu'elle n'y ait été présente qu'une seule fois depuis son élection 2010.
Victorin Lurel est un fin politique combatif et érudit, avec un brin d'orgueil, au point que ses opposants aiment à le traiter de « ti coq » . Il espérait un autre ministère et lorgnait l'Agriculture ou les Affaires sociales, avec un rêve secret, sérieusement caressé lors de la campagne de Ségolène Royal en 2006-2007, le Budget. Mais, dernièrement, Victorin Lurel avait confié qu'il accepterait la mission que François Hollande et Jean-Marc Ayrault lui attribueraient. Il reste donc cantonné à l'Outre-mer dont il connait toutes les arcanes pour avoir été secrétaire national à l'Outre-mer au PS en 2005.
Après avoir côtoyée sa compatriote parisienne sur les bancs de l'Assemblée nationale, il la retrouve au gouvernement. George Pau-Langevin, guadeloupéenne également, a été nommée ministre déléguée à la Réussite éducative. Cette avocate de profession a été présidente du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples (MRAP) de 1984 à 1987. Elle a dirigé l'Agence nationale de promotion et d'insertion des travailleurs d'outre-mer (ANT) devenue depuis Ladom. En 2001, elle devient conseillère au cabinet du maire de Paris, Bertrand Delanoë, pour la vie associative et déléguée générale à l'Outre-mer.
David MARTIN (avec F.-X.G.), Agence de presse GHM