Il y a un an, en avril 2009, Va Boua Ndzeu avait reçu France-Guyane chez lui, au côté de sa femme. Retrouvez le témoignage qu'il nous avait accordé.
Vang vit à Cacao, où se rend vendredi le secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants. Il raconte avoir combattu aux côtés de l'armée française en Indochine. Ce que l'Etat ne reconnaît pas.
Vang s'excuse sans cesse d'avoir la mémoire qui flanche. A 89 ans, on lui pardonne volontiers de ne plus se souvenir si c'est en 1967 ou en 1968 qu'il a détruit les papiers prouvant son engagement auprès de l'armée française en Indochine.
Vang vit à Cacao. Il partage sa maison avec son épouse Ma Cha, une figure incontournable du marché dominical, et l'un de ses fils. Il a quitté le nord du Laos en 1989. Il était maire de sa commune et agriculteur. Mais vingt ans après la fin de la guerre, il vivait avec la peur d'être démasqué. Les représailles continuaient. « Certains habitants du village ont disparu, sans qu'on sache ce qu'ils sont devenus. » Alors en 1968, peut-être 1967, qu'importe, Vang a détruit les papiers qui le liaient à l'armée française. Les seuls qui lui auraient permis de plaider sa cause auprès des Anciens Combattants. Le secrétaire d'Etat, Jean-Marie Bockel, arrive ce soir en Guyane. Vendredi, il inaugurera une stèle à Cacao où de nombreux Hmongs sont arrivés depuis la fin des années 1970. Comme Vang, eux ou leurs parents ont combattu auprès de l'armée française.
Vang s'est engagé auprès du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (Céféo, le nom donné à l'armée française en Indochine) en 1953. La guerre fait rage depuis sept ans. Cette année-là, le Viêt Minh nationaliste et communiste arrive dans sa ville de Monsoy, à la frontière avec le Viêt Nam. L'armée française lui fait face. « Notre maire, sachant que la guerre approchait, a fui ; il a fallu se positionner. » Le Viêt Minh, que Vang appelle encore aujourd'hui « l'ennemi » , « s'en est pris aux habitants du village » , raconte-t-il. Dès lors, Vang choisit son camp. « Nous avons fui. Sinon, nous aurions tous été massacrés. Dans la ville voisine, il s'engage auprès des Français. L'officier qui l'accueille s'appelle Villiers.
Dans la région, l'armée française est dépourvue. « Il a fallu construire une caserne. Il y avait beaucoup de travail... Beaucoup de travail... On n'avait le temps de faire rien d'autre. » A l'évocation de ces souvenirs, les rides de Vang semblent se creuser encore un peu plus sur son visage. « On a donné tout ce qu'on avait pour l'armée française. » Tout. Même leur vie. Sept autres hommes de Monsoy ont rejoint le Céféo le même jour que Vang. Cinq meurent la première année : « Deux à cause d'une grenade et trois de maladie. » Vang aussi a failli mourir.
Avec son épouse Ma Cha, que l'on voit toujours au marché, il a travaillé son abattis à Cacao jusqu'à l'an dernier.
Assis au rez-de-chaussée de sa maison de Cacao, à quelques mètres de l'abattis où il a travaillé jusqu'à l'an dernier, il tire sur son col de chemise. Entre le cou et l'omoplate gauche, il met le doigt sur une cicatrice. « J'avais vingt soldats sous mes ordres. Comme j'étais le chef, je devais marcher devant. Je suis tombé sur une mine posée par l'ennemi. » C'était sur le chemin où il patrouillait tous les jours. Quand il se réveille, des villageois le soignent. Les contacts sont rares avec le commandement français, installé en ville. Dien Biên Phu tombe en 1954, la France quitte l'Indochine, les Etats-Unis poursuivent la guerre jusqu'en 1969. Vang l'ignorait. « Jusqu'en 1969, j'ai cru que je servais l'armée française. »
Un an plus tôt, il a détruit toutes les preuves. « Je m'étais fait arrêter. J'ai compris qu'il ne fallait pas qu'ils trouvent les papiers sur moi. J'ai dit que j'étais simple agriculteur et que je n'avais jamais servi la France. » Il ne le révélera jamais à ses compatriotes. « L'ennemi a toujours cherché ceux qui avaient servi. »
- Les propos de Vang ont été aimablement traduits par Cha By.