Stéphanie, l'art pour donner du sens

Stéphanie, l'art pour donner du sens

Melinda Boulai

C’est elle qui d’habitude observe chaque détail, chaque trait du visage, chaque mimique, pour dresser au mieux le portrait d’une personne. Cette fois, c’est à elle de se plier à l’exercice. Stéphanie Destin, 34 ans, est artiste. Elle s’illustre dans le dessin, la peinture et aussi en tant qu’illustratrice. Un choix de carrière qui n’est pas évident, mais qu’elle ne regrette pour rien au monde…

Avec un père artiste peintre, difficile pour Stéphanie d’échapper à son destin, direz-vous. Eh bien non. Si elle a grandi dans un espace dédié à l’art, allait dans les expos, rencontrait des artistes, elle n’était pas plus intéressée que cela par cet univers. Ses parents ne l’ont pas non plus poussée.

Mais une amie qui prenait des cours de dessin avec son père a suscité sa curiosité. Et Stéphanie, en discutant avec elle, s’est mise à dessiner et à aimer ça. Avec un talent avéré. Elle a alors commencé à prendre des cours de dessin avec son père et s'est brillamment illustrée tant dans le groupe pour adolescents que dans celui des adultes. La jeune fille n’a dès lors plus lâché ses crayons. 

A 16 ans, Stéphanie fait sa toute première exposition au centre culturel du Lamentin. Elle est alors bien déterminée à embrasser une carrière dans l’art. Lycéenne, par manque de moyens, elle renonce à un lycée qui propose arts plastiques en option, pour suivre un cursus littéraire dans lequel elle ne pense qu’à dessiner. Son baccalauréat décroché au lycée Montgérald du Marin, la jeune fille passe le concours pour intégrer l’Irav (Institut régional des arts visuels), l’actuel campus caribéen des arts.

Elle se révèle et, à travers les cours, découvre des workshops, les techniques autour du dessin, de la 3 D, du numérique, de la photographie argentique et numérique, la gravure, la sérigraphie…

« J’y ai même découvert la tablette graphique ! Nous avons appris à faire du photomontage… A l’époque, les écrans n’étaient pas aussi présents que maintenant, c’était novateur.  L’Irav m’a permis de découvrir de nombreux outils, de nombreuses techni-ques, de réfléchir sur mon propos d’artiste, savoir où je veux emmener mon public et de faire de belles rencontres ».

L'art pour transmettre

Si, durant ses études, Stéphanie cherche d’abord à choquer à travers ses œuvres pour toucher son public, elle se rend vite compte que ce qui l’intéresse, c’est faire passer des messages, amener à la réflexion… Elle travaille avec les personnes âgées, va dans les maisons de retraite pour proposer « des choses moins percutantes mais plus profondes pour la transmission ».

Stéphanie passe 4 ans à l’Irav, et pour s’en sortir financièrement, donne des cours dans les écoles de Rivière-Salée pendant l’interclasse. C’est d’ailleurs pour des raisons économiques qu’elle quitte l’Irav lors de sa 4e année. « Je sentais qu’il était temps que je me lance. Je donnais des cours, passais moins de temps à l’école. Dans ma tête, j’allais me plonger dans mon art, créer, faire des expositions, gagner ma vie… J’étais vraiment sur un petit nuage, pas encore consciente de la réalité ! »

La jeune artiste travaille alors durant plus de six mois sur une exposition autour du questionnement sur la vie. « J’avais fait un travail autour des personnes âgées, proposé aussi un travail sur la lumière avec des tableaux où la peinture emmagasinait la lumière et, dans l’obscurité, renvoyait la lumière absorbée ».

Le jour du vernissage, en septembre 2011, black-out sur la Martinique et peu de personnes se déplacent. Elle vend tout de même deux toiles ce jour-là.

« Ça m’a fait un choc. J’y avais travaillé durant plusieurs mois. J’étais étudiante, pas de moyens. Il fallait acheter la peinture, les pinceaux… J’avais même fait les poubelles d’entreprise d’imprimerie pour avoir du papier, car je ne voulais pas demander d’aide à mes parents. A l’époque, pour moi, cette expo était un échec. Oui, « la vi artist red », » sourit-elle.

Un véritable coup de massue pour Stéphanie qui met du temps à s’en remettre, sans pour autant renoncer à son rêve. « Pour moi, même si j’ai eu une mini-dépression après cela, c’est l’art et j’y mourrai ! J’ai eu l’occasion de faire d’autres petits boulots durant mes études, mais je trouvais le temps long. C’était horrible ».

Ne plus se cantonner qu'à la création de tableaux...

La rencontre avec Fabienne Valérie Kristofic, auteure de contes pour enfants, permet à Stéphanie de comprendre les possibilités qui s’offrent à elle. « Elle cherchait un illustrateur et elle avait entendu dire que je faisais du dessin et de la peinture. Moi, ce n’était pas ce que j’avais envisagé, mais j’avais besoin de vivre. Au final, je me suis lancée et j’ai trouvé cela très intéressant. J’ai travaillé les dessins à l’aquarelle ». En 2011, paraît « Roger et le colibri » de Fabienne Valérie Kristofic, illustré par Stéphanie Destin.

« Ce livre m’a ouvert des portes. Jala a donné mon contact à une association qui a passé une commande pour un livre sur les instruments. « Wash » a été mon premier livre réalisé sur tablette graphique. Grâce à ce livre et à Jala, j’ai pu participer au salon du livre à Paris où j’ai pu faire de nombreuses rencontres ».

Stéphanie, qui est en pleine désillusion à cette période, reprend confiance en elle et ne veut plus se cantonner qu’à la création de tableaux, de dessins, comme elle avait pu imaginer sa vie.

« Ces salons du livre à Paris, au Canada, m’ont permis de rencontrer des auteurs, de découvrir des techniques comme la gravure, de me nourrir d’expositions, de conférences, d’ateliers… J’ai eu des commandes de livres à illustrer. Et plus je travaillais, plus je m’ouvrais et plus je développais ma technique ».

En l’espace de 10 ans, Stéphanie Destin a illustré une vingtaine de livres, la plupart pour enfants. Son ouvrage le plus connu, la bande dessinée de la Rue Cases-Nègres d'après l'œuvre de Joseph Zobel, écrite par Michel Bagoé et sortie en 2018. La seule BD qu’elle a eu à réaliser pour le moment. Un ouvrage qui lui  a permis de participer à une résidence d’artiste.

 S'engager pour la jeunesse

« Lorsque Michel Bagoé m’a contactée pour me parler de son projet, j’ai fait beaucoup de recherches tant au niveau de la banque d’images, que de groupes sur les réseaux sociaux, et puis j’allais voir mes grands-parents qui ont vécu à cette époque pour qu’ils me donnent leurs avis. J’ai travaillé durant deux ans et demi sur les planches. J’ai eu beaucoup de liberté de création et la maison d’édition Présence africaine m’a fait confiance ».

Stéphanie Destin met un point d’honneur à travailler sur les livres qui sont en lien avec les Antilles-Guyane, la Réunion, en rapport avec son histoire. Une manière pour elle de contribuer à la transmission de la culture, de la mémoire.

Parallèlement, Stéphanie donne des cours de dessin. Elle le fera d’abord au Greta pour des jeunes en difficulté, puis elle étend ses cours d’arts plastiques dans les centres culturels des communes du Sud, Sainte-Luce d’où elle est originaire, Rivière-Salée, Marin, au collège Saint-Joseph de Cluny… où, avec les enfants, et les seniors, elle réalise de grandes choses.

Stéphanie s’intéresse aussi aux nouvelles technologies, se spécialise dans le dessin numérique, met son talent au service de France-Antilles pour réaliser les croquis d’audience, depuis 4 ans.

« Le croquis d’audience me permet d’avoir une autre approche du dessin, me met aussi en difficulté. Je suis loin, la personne peut bouger, et il faut retranscrire fidèlement, sans parti pris ».

Stéphanie aimerait porter l’art dans les endroits où on ne l’attend pas comme la prison, les cités, auprès des personnes âgées…

Passionnée de photographie, elle réalise des clichés en réalité virtuelle avec VIP Studio 360, une entreprise spécialisée dans le secteur. Si la vie de Stéphanie ne ressemble en rien à ce qu’elle avait imaginé, elle est une jeune femme épanouie.

« Il y a d’autres qui ont dû laisser tomber l’art, alors que moi, j’ai la chance d’en vivre. L’art ne s’arrête pas qu’aux œuvres, je m’inscris maintenant dans une démarche autour de la transmission, sans entrer dans un cadre. Je cherche avant tout ce qui va me permettre de m’épanouir en tant qu’artiste et en tant que personne ».

Elle s’investit socialement aussi autour de « Dessin'Elle », des cours sur l'autoportrait qu’elle dispense à quinze mères de famille accompagnées par le service social sur le secteur de Rive Droite Levassor, Ermitage, Bellevue, Texaco à Fort-de-France.

C’est vrai que les banques boudent ses demandes de prêts et qu’elle ne roule pas sur l’or, mais Stéphanie ne compte pas s’arrêter là, même si la concurrence est de plus en plus ardue et le contexte économique peu favorable à la création.

« Il y a quand même davantage d’aides que par le passé », assure-t-elle. Dans un coin de sa tête, lorsqu’elle remonte sur son nuage, elle aimerait créer, réaliser une exposition, surtout qu’elle est sollicitée, mais « pour créer il faut du temps et le temps, c’est de l’argent ! »

Stéphanie préfère s’engager dans et pour la jeunesse. « Il y a tellement de choses à faire sur la Martinique. Il faut se battre pour le pays, s’épanouir dans son espace ».

Dans son sac à main, sa tablette pour dessiner et aussi des carnets, des crayons, des feutres… « Il faut travailler et avoir de l’endurance, il n’y a pas de miracle ! J’ai eu l’impression d’avoir donné beaucoup de coups d’épée dans l’eau, mais ce n’était pas vain ! »

√ Les photos sont visibles en réalité virtuelle. Pour cela, téléchargez l'application Artivive. Lancez l'application et appréciez les animations de la photo.  

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