« La balle s'est logée à 1 millimètre de mon cerveau »
CAYENNE

« La balle s'est logée à 1 millimètre de mon cerveau »

Propos recueillis par Sébastien ROSELÉ
Jean-André Boutin, samedi matin. L'enseignant n'a pas souhaité que son visage apparaisse dans le journal (SR)
Jean-André Boutin, samedi matin. L'enseignant n'a pas souhaité que son visage apparaisse dans le journal (SR)

Demain, cela fera deux semaines que Jean-André Boutin a reçu une balle dans la tête. C'était au collège Paul-Kapel. Comment s'est passée son opération ? Comment se sent-il ? Est-il est en colère ? L'enseignant répond à nos questions.

Pouvez-vous nous raconter comment s'est passée cette matinée où vous avez reçu une balle ?
Mardi 1er avril, j'ai reçu un coup violent et brutal à l'arrière de la tête. J'ai mis tout de suite ma main dessus. Je me suis rapproché de mon collègue. Il a vu une coupure franche et nette. Comme moi, il avait entendu un bruit. On s'est ensuite dirigés vers l'infirmerie pour les premiers soins.
Ce bruit ressemblait à quoi ?
Il était semblable à une explosion. J'étais sur l'ordinateur d'un élève. C'était la récréation. Je préparais mon cours. Je croyais que c'était l'écran qui avait explosé. Je l'ai tout de suite regardé. J'étais loin d'imaginer que c'était une balle qui avait pénétré dans ma tête!
Vous ressentiez de la douleur ?
Elle était insupportable! C'était comme si on vous arrachait un bras. Au fil du temps, j'avais l'impression de ne plus avoir de force pour me déplacer. J'étais comme un boxeur KO debout.
Que s'est-il passé à l'infirmerie du collège ?
L'infirmière a vu l'état de ma tête. Elle a décidé de pratiquer les premiers soins pour stopper l'hémorragie. Les pompiers ne se sont pas déplacés.
Ils nous ont dit qu'ils n'avaient pas reçu d'appel...
C'est l'infirmière qui a appelé. Elle n'a pas eu directement les pompiers. Elle est tombée sur un médecin (1). En fait, je suis incapable de vous dire qui elle a eu. Mais mes collègues n'ont pas eu les pompiers directement.
Vous disiez que dans la salle de cours, au moment du coup de feu, vous étiez avec votre collègue...
Oui. C'est un collègue, et c'était aussi mon ancien professeur d'électronique, il y a plus de vingt ans. Il quittait la salle et moi je la récupérais pour faire cours après la récréation.
Comment s'est passée votre arrivée à Phôpital ?
Quand ils ont vu - sans que moi je le sache - que j'avais une balle dans la tête, ils ont été très réactifs. Ils m'ont fait des radios, un scanner...
Vous aviez toujours autant mal ?
La douleur avait diminué parce que j'étais sous perfusion mais elle était toujours présente. Et c'est sous perfusion que j'ai repris mes esprits.
Quand avez-vous appris que vous aviez reçu une balle dans la tête ?
Quand les enquêteurs sont venus me voir à l'hôpital, en début d'après-midi. Ça faisait alors quatre heures que j'avais quelque chose dans la tête. Avant ça, personne ne m'en avait parlé. Les médecins m'avaient juste dit que j'avais « un corps étranger » . Mais après le passage des enquêteurs, le médecin légiste m'a dit que c'était une balle. Il a pris le temps de m'expliquer où elle était et que j'étais passé très près de la mort. La balle n'a pas atteint le cerveau. Mais elle n'était pas loin! En fait, c'est la première chose que m'a dit le légiste : « Monsieur, vous êtes un miraculé. »
Qui vous a opéré ?
Vu où la balle était logée, il fallait un spécialiste en neurochirurgie. Il y a encore huit à dix mois, il n'y avait pas de neurochirurgien en Guyane. Il fallait envoyer les patients en Martinique ou dans l'Hexagone.
Il vous a rencontré avant l'opération ?
Il m'a vu mardi. Il a quitté le bloc opératoire pour venir me donner quelques infos.
Il m'a dit que j'avais de la chance. Après mon opération, il est revenu me voir et il m'a dit que la balle était logée à 1 millimètre du cerveau.
Comment s'est passée l'opération ?
J'ai été emmené au bloc à 9 h 30. L'opéraùon a dû commencer vers 9 h 50. Je n'ai pas eu d'anesthésie générale mais locale (2). J'avoue que les premières minutes je me demandais s'ils m'avaient vraiment anesthésié tellement la douleur était énorme. Ils ont dû tripler la dose! Pendant l'opération, la peur s'est volatilisée. C'est la douleur qui a pris le pas. J'ai crié. Ils ont dû arrêter pendant quelques secondes pour me ré-injecter une autre dose.
À un moment donné, j'ai senti qu'ils grattaient. Je leur ai demandé ce qu'ils faisaient. Le chirurgien m'a dit : « Il faut bien retirer la balle de l'os » . La balle est venue s'écraser contre la boîte crânienne. Il reste quelques éclats. Ils n'ont pas pu tout enlever. Quand ils m'ont dit que la balle était dans l'os, je me suis évanoui.
Combien de temps cela a-t-il duré ?
Plus de deux heures. Le chirurgien a pris son temps pour faire les choses correctement. La balle, avant de m'atteindre, a touché un objet métallique. Elle a ramené avec elle des éclats qui se sont dispersés dans ma tête.
Où s'est logée cette balle ?
Sur la boîte crânienne, à l'arrière gauche, un peu au dessus du niveau de l'oreille.
On vous a dit de quel calibre il s'agissait ?
On m'a parlé d'une balle de grande taille. Ce n'était pas un plomb de fusil. Les médecins m'ont dit qu'une balle de ce type qui entre dans la tête, normalement, c'est direct à la morgue.
Comment vous sentez-vous aujourd'hui, moralement ?
Je ne vais pas bien du tout. Je garde le sourire mais depuis cet incident, je n'ai pas fait une nuit complète. La vie se joue à un millimètre près. J'essaie de me dire que je suis chanceux. Ce n'est pas évident.
Quand je dors un peu, je fais des cauchemars. Je me lève en sursaut en transe, comme si j'avais fait un footing. C'est pénible et difficile de se dire qu'on peut perdre la vie dans une salle de cours.
Vous aurez des séquelles ?
C'est sûr, il y en aura... J'ai mal, toujours. Les médecins m'ont dit que les séquelles peuvent passer puis revenir : douleur, perte d'équilibre. Je dois surtout surveiller ma vue. J'ai une batterie de tests à faire.
Mais comme il y a encore des métaux dans ma tête, je ne peux pas faire d'IRM.
Vous devez encore passer au bloc opératoire...
C'est un gros point d'interrogation. Est-ce qu'ils vont enlever ces éclats ? Est-ce qu'ils vont les laisser ?
Vous avez eu des messages de vos collègues ?
Oui, j'ai reçu des messages de soutien de mes collègues de Kapel et Holder où j'enseigne. Je tiens à tous les remercier. Des collègues de mes anciens établissements ont aussi cherché à me joindre. Ça m'a fait plaisir. J'ai reçu aussi des témoignages de sympathie d'élèves. J'ai vu qu'ils m'estimaient beaucoup. Ça m'a fait du bien.
Votre avocat nous a confirmé que vous aviez déposé une plainte.
En fait, j'en ai déposé deux. La première contre X, c'est-àdire contre le ou les personnes qui ont commis cet horrible bêtise. C'était involontaire, je n'étais pas visé. Mais le tir, lui, était volontaire. Ce n'était pas un fusil de chasse. C'était un revolver. On ne peut pardonner à une personne qui prend un revolver et qui se met à tirer.
La deuxième plainte est contre le rectorat. J'ai reçu un choc violent à la tête. Ce n'est pas le rectorat que je vise. Je vise les secours qui ne se sont pas déplacés. Mais comme ce n'est pas moi qui ai appelé mais le rectorat, c'est contre lui que j'ai déposé plainte.
Justement qui vous a conduit à l'hôpital ?
C'est un collègue, le principal adjoint. Il a pris la lourde responsabilité de le faire. Je salue son courage.
Que voudriez-vous dire au tireur ?
Je ne lui pardonne pas ce qu'il a fait. Il m'a brisé, il a aussi brisé toute une famille. Il a brisé aussi certains collègues qui maintenant ont peur. Dans un établissement scolaire ou à côté, on n'utilise pas une arme. On parle d'un millimètre. Si cela avait été un élève à ma place ? En quelques secondes, cela aurait été fini pour lui. J'aimerais que le tireur comprenne ce qu'il a fait pour qu'il ne recommence pas. On ne tire pas n'importe où.
(1) Probablement en composant le 15, le numéro du Samu.
(2) Le patient doit tester éveillé dans ce genre d'opération pour que le chirurgien puisse vérifier qu'il n'est pas en train d'endommager des zones du cerveau aux conséquences irréversibles.
Calibre 9 mm
En écoutant Jean-André Boutin, ce professeur de sciences de 38 ans - marié et père d'une fille - on se dit qu'il a eu beaucoup de chance. Lenguête a pour le moment déterminé que le calibre utilisé était du 9 mm, le même que celui des gendarmes et des policiers.
Le tireur était posté « entre 50 et 1000 mètres » . C'est tout ce qu'on sait. Les deux gendarmes balisticiens venus la semaine dernière sont repartis avec la balle et les notes qu'ils ont prises lors de la reconstitution. Ils enverront leur rapport aux enquêteurs dans quelques semaines. Le tireur, lui, court toujours.
(Sébastien Roselé)
(Sébastien Roselé)

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