« Vos clients ont un accès facile aux armes »
REPORTAGE

« Vos clients ont un accès facile aux armes »

Rodolphe Lamy
La brigade de police administrative vérifie que les deux établissements habilités à vendre des armes respectent la réglementation.
La brigade de police administrative vérifie que les deux établissements habilités à vendre des armes respectent la réglementation.

La brigade de police administrative, accompagnée d'un représentant de l'Etat, a procédé cette semaine au contrôle des deux seules armureries en activité dans l'île : Levallois Racing et Intersport Dillon.

« On dirait un silencieux » , pense Erick Marie-Louise, de la brigade de police administrative, inspectant un petit paquet plastique au fond d'un tiroir. « Ah ça, c'est un atténuateur de bruit pour un pistolet 9 mm à blanc, en vente libre » , minimise Mr Zabulon, le comptable de l'établissement Levallois Racing. Depuis 9 heures, deux policiers, accompagnés d'un responsable de la préfecture du service armes et munitions, contrôlent la plus ancienne armurerie de la Martinique, boulevard Ernest Desproges, à Fort-de-France.
Les deux fonctionnaires commencent par vérifier tous les tiroirs, les vitres coulissantes aussi. Tout est bien fermé, sauf un tiroir où se trouve le fameux silencieux. « Les clients peuvent s'en emparer facilement » , déplore le policier. Depuis le dernier passage de la police en septembre 2012, il note un léger mieux. « À l'époque, tout était ouvert » .
Mais, plus loin, dans une remise au fond du magasin, les policiers tombent sur un fusil appuyé contre le mur. La secrétaire tente d'apporter une explication. « Il a été déposé vendredi, on n'a pas encore eu le temps de le rentrer dans le cahier de réparation » . Pour Serge Othon, du service armes et munitions à la préfecture, c'est une négligence fâcheuse. « Donc l'arme reste comme ça, sans protection, pendant tout un week-end... Si quelqu'un pénètre chez vous et la vole, on n'en aura aucune trace. On doit savoir d'où elle vient et quelle est sa destination » .
TRAÇABILITÉ ESSENTIELLE DES ARMES
Ces dernières années, Levallois, qui a développé le commerce de batteries et de pneus, a diminué son activité armurerie. Les remises en état d'armes se font désormais très rares dans ses locaux. L'analyse du cahier de réparation, déjà validé avec « beaucoup de réserves » en septembre 2012, ne satisfait toujours pas les policiers. « Il est tenu de façon archaïque avec quelques incohérences » , remarque Serge Othon.
Même chose pour le registre des armes vendues, pas totalement satisfaisant. Ce qui rend leur traçabilité parfois difficile. « C'est gênant. Car s'il y a un coup de feu, on peut remonter sur le tireur lorsque l'arme a été vendue légalement et correctement enregistrée » , rappelle Erick Marie-Louise. Poursuivant leur contrôle, les policiers découvrent, à l'étage, environ 80 cartons de feux d'artifice, empilés les uns sur les autres mais ne parviennent pas à mettre la main sur les bons de commande. « La préfecture doit savoir que vous avez reçu tant de kilos de produits avec tant de kilos de matière active. Vous imaginez les dégâts en cas de sinistre ? Et si les pompiers pénètrent dans votre établissement sans savoir ? » , sermonne le fonctionnaire. Plus loin, des cartons d'armes sont dispatchés ça et là. Un fusil, sorti de son emballage, est posé sur l'un d'eux. « C'est parce qu'il est cassé, des clients l'ont manipulé et ont fait tomber une pièce » , justifie le comptable de Levallois. Tout en relativisant : « nos armes sont retenues par une chaîne au niveau de la gâchette, le quidam ne peut pas partir avec » . « Cela signifie quand même qu'ils ont un accès facile aux armes » , s'étonne le policier.
LE RISQUE : LE RETRAIT DE L'AGRÉMENT
Après deux heures de contrôle, la brigade promet de revenir. « Il faudra mieux ranger vos cartons d'arme qu'on sache combien d'armes vous avez et de quelles catégories. On reviendra faire un contrôle minutieux » , prévient Serge Othon. Le comptable ne paraît pas étonné. « À chaque fois que la préfecture nous fait des observations, on en tient compte pour y remédier » , assure Mr Zabulon. « Pour les armes de 9 mm et de 6 mm, en vente libre, nous tenons un registre alors que la loi ne le prévoit pas. Nous avons une traçabilité au-delà de la législation » . En cas de non-respect des règles, l'établissement risque le retrait de son agrément. « On peut aussi lui donner un délai de 6 mois pour se mettre en conformité » , soutient Serge Othon.
À Intersport Dillon, qui a l'autorisation de vendre des armes de catégorie B - C - D, les policiers trouvent moins de choses à redire. Le registre des entrées et sorties d'armes, même s'il n'a pas été tamponné à son ouverture est juillet, est bien tenu. Les fusils exposés sont facilement identifiables par leur numéro de série. Manuel Girier, le directeur du magasin, présente les armes de catégorie B (anciennement 1ères et 4èmes catégories), placées à l'abri dans un coffre-fort, lui-même enfermé dans une chambre forte.
« Elles proviennent essentiellement de la police municipale du Lamentin pour des réparations, de clients qui nous les ont remises mais qui ne sont pas à jour » . Sept armes au total. Rendez-vous est pris avec les policiers pour les remettre aux fonctionnaires. « Ici, assure un vendeur dédié au rayon armurerie, on contrôle tout, on vérifie tout concernant chaque achat de cartouche comme d'armes. On ne fait une vente que si le client a son permis de chasse et sa validation à jour ou encore sa validation de licence de tir » .
Une nouvelle classification
Depuis le 6 septembre der nier, les armes ne sont plus répertoriées en 8 catégories (de la 1ère à la 8ème) mais seulement en quatre (A, B, C, D). Censée simplifier une classification ancienne de 1995, la loi du 6 mars 2012 prend désormais en compte la dangerosité des armes et plus leurs caractéristiques.
- A : armes interdites (engins et lanceurs militaires à effet explosif, armes à feu automatiques, armes à feu camouflées sous la forme d'un autre objet...)
- B : armes soumises à autorisation préalable du préfet pour l'acquisition et la détention (armes à feu courtes semi-automatiques ou à répétition, armes à feu courtes à un coup, à percussion centrale...)
- C : armes soumises à déclaration pour l'acquisition et la détention (armes à feu longues à répétition, armes à feu longues à un coup par canon rayé, armes à feu longues semi-automatiques...)
- D : armes soumises à enregistrement, dont l'acquisition et la détention sont libres (armes à feu longues à un coup par canon lisse, armes blanches...).
REPÈRES
Centres de tirs aussi dans le viseur
En plus des deux armureries en activité et de deux autres qui ont déposé une demande d'agrément, la brigade de police administrative de la sûreté départementale, en lien avec le service des armes et munitions de la préfecture, compte poursuivre ses contrôles sur les centres de tirs agréés et reconnus. En communes, des « centres de tirs » non-officiels, pour du ball-trap, se développeraient en parallèle.
Agréments nécessaires
L'agrément d'armurier est délivré par le préfet pour les armes de catégories C et D. Pour la catégorie B, une autorisation - qui a valeur d'agrément - est décernée par le ministère de la défense. À tout moment, à cause de manquements ou de nouveaux éléments, le ministère peut retirer ou suspendre l'agrément. Idem pour le préfet.
83 armes à feu saisies
Depuis le début de l'année (jusqu'à fin septembre), les forces de l'ordre ont opéré de nombreuses saisies d'armes de toutes catégories.
Dans le détail, 65 armes de poing, 28 armes d'épaule, 41 armes contondantes et 241 armes blanches (tranchantes) ont été confisquées lors d'opérations ciblées ou de fouilles préventives
Armes illégales : d'où viennent-elles ?
L'existence d'une filière de trafic d'armes à feu à la Martinique n'a jamais été démontrée. La réalité semble beaucoup plus terre à terre. Beaucoup d'armes en circulation illégale sont achetées en vente libre dans les armureries et trafiquées par la suite pour tirer des balles réelles. D'autres, utilisées sur certaines affaires, proviennent de cambriolages aux domiciles de particuliers. Certaines armes peuvent aussi rentrer en Martinique à l'occasion de débarquements de produits stupéfiants. Enfin, internet permettrait à certains acquéreurs peu scrupuleux de se doter d'armes à feu.
LE CHIFFRE. 6843
Au 30 septembre, c'est le nombre d'armes réglementées et enregistrées par les services de la préfecture, actuellement en circulation dans l'île.
Serge Othon, service armes et munitions à l'armurerie Levallois
Suite à la nouvelle réglementation et aux faits de société récents, le préfet souhaite une plus grande rigueur par rapport à l'activité armurerie afin de la pérenniser car un peu de laxisme était constaté.

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