(Débats) La départementalisation aux Antilles doit nous interpeller

(Débats) La départementalisation aux Antilles doit nous interpeller

(Pages Débats) Jean-Marie Nol

Un journal, c'est aussi un espace de liberté et d'expression libre. Nous vous proposons, ici, de renouer avec nos « pages Débats », en nous envoyant vos tribunes, vos prises de position, vos avis à l'adresse mail redaction.fa@agmedias.fr. Retrouvez ici la lettre ouverte de Jean-Marie Nol.

Avec la crise actuelle du coronavirus et celle demain de la dette publique, le système de départementalisation est menacé d'implosion au sein même de ce qui est considéré comme étant son cœur, le modèle social français. 
L'effondrement économique qui se prépare, et dont l'intervention massive de l'État en France a permis de repousser les prémices d'une crise sociale, obligera la Martinique et la Guadeloupe à des choix très contraints. Deux possibilités s'offriront : Une certaine forme d'autonomie politique, mais sans aucune marge de manœuvre budgétaire et financière, ou l'étatisme low cost avec l'instauration imposée par l'Etat d'un revenu universel de base de 800 euros pour tous. 
Je suis convaincu que ce choix se posera en ces termes d’ici à la fin 2022. 
Aussi nous devons prendre le temps de la réflexion avant de procéder à une sérieuse réévaluation des enjeux politiques, économiques et sociaux du changement statutaire à tout le moins dans le contexte actuel.  
Pour l’instant, l’effondrement économique est invisible en Martinique et Guadeloupe, et ce même si beaucoup de secteurs d'activité sont à l'arrêt. Et pourtant, dans le monde, la crise sanitaire, économique et sociale est déjà palpable. Ainsi, avec plus de 3 millions de cas et 250 000 victimes du coronavirus  dans le monde à ce jour, et la perte attendue de l’équivalent de 305 millions d’emplois dans le monde d’ici fin juin, selon l'organisation internationale du travail (OIT). Dans notre espace géographique qu'est la région Caraïbe, les enjeux financiers et sociaux n’ont jamais été aussi élevés. Cette pandémie a mis cruellement en évidence la précarité et les injustices extraordinaires de cette région. Les moyens de subsistance de ceux qui sont dans l’économie touristique sont décimés dans beaucoup de pays de la Caraïbe. Bref, la richesse va faire un grand bond en arrière dans ces pays, et la misère un grand bond en avant. 
En Martinique et Guadeloupe, pour le moment à court terme, les gens ont besoin de garanties pour leur emploi et d’une aide au revenu. On tient encore le coup comme on dit. L'Etat s'y emploie en injectant des millions d'euros pour soutenir le secteur de la santé et l'économie de ces territoires ultramarins. Devant la dégradation de la situation, la France a mis en œuvre un fonds de relance globale de 120 milliards d’euros ainsi qu'une enveloppe de 300 milliards consacrée au financement du PGE (prêt garanti par l'état aux entreprises). Un tel engagement des pouvoirs publics est exceptionnel. Cet argent doit être orienté vers le soutien à l'économie nationale. Mais tout ceci se fera au détriment des générations futures qui devront rembourser la dette. Le peuple va-t-il accepter des hausses d’impôts, des ponctions sur l'épargne, ou choisira-t-il de poursuivre d’endetter les entreprises et l’Etat sur les vingt à trente ans à venir ?
C’est la question lucide que quelque chose va changer dans l'atmosphère de ces prochaines années.
Reconstruire une société plus équitable
Je ne prends pas beaucoup de risques en affirmant que, dans quelques mois, la petite musique du papa État qui peut tout, déjà répétée à mot couvert en boucle par nos responsables politiques, aura suffisamment résonné dans toutes les têtes pour que tout appel à la modération des dépenses publiques ne devienne inaudible. L'Etat s'endette et bientôt ne pourra plus faire face à ses obligations vis à vis de l'Outre-mer et poussera, par un calcul cynique, à l'autonomie voire même à l'indépendance de certains territoires, sous couvert de la demande du peuple et des élus de plus de responsabilités locales.
S'il est mené jusqu'à son terme, le processus sera long. D'autant que l'Etat, prudent, veille à ce que cette évolution s'inscrive à l'intérieur de la République pour la Guadeloupe et la Martinique. Mais Paris ne répugnerait pas à accompagner un mouvement d'autonomie qui pourrait contribuer à réduire ses lourdes dépenses budgétaires en faveur de l'Outre-mer. Au cours de ces cinq dernières années en tout cas, le budget dédié à l'Outre-mer (tous ministères confondus) a évolué de près de 50 %, tandis que les investissements de l'Etat en faveur de ses territoires ultramarins passaient de 10 à 13 milliards d'euros.
En cas de restrictions budgétaires drastiques, la Martinique et la Guadeloupe demeureront alors seules avec leurs fonctionnaires hallucinés par la suppression prévisible des 40% de sur-rémunération et leurs syndicalistes frustrés par l'absence de grains à moudre, mais toujours prompts à en réclamer plus sans contrepartie. 
C'est dans ce contexte délétère qu'il ne faut pas négliger la nécessité d’avoir une vision stratégique d'un nouveau concept de développement exogène à moyen-long terme pour que la Martinique et la Guadeloupe puissent développer leur résilience et être capables de reconstruire une société, certes avec moins de richesse, mais néanmoins meilleure car plus équitable. Mais comme les Martiniquais et les Guadeloupéens adorent prendre leurs rêves pour des réalités, il ne manque pas d’esprits complaisants pour les nourrir dans cette illusion que le progrès social hérité de la période dorée de la départementalisation pourrait durer éternellement, et que nul sacrifice ne saurait être consenti à l'avenir. Devant ce phénomène, la seule chose qui devrait nous surprendre, c’est que nous sommes surpris. Je ne compte plus, dans les commentaires que je recueille sur les réseaux sociaux, des appels à une indifférence assumée vis-à-vis de la crise économique qui arrive, vis-à-vis du « dieu argent » et des « valeurs libérales » qui nous gouvernent. Ces appels naïfs sont directement inspirés et confortés par des esprits dont on ne sait s’ils sont dominés par l’incompétence ou par la démagogie. Tous ces gens dont certains éduqués sont coupables de faire croire aux Français de l'Hexagone et aux Antillais qui n’ont pas eu accès à la même éducation qu’eux que l’État peut indéfiniment se substituer aux entreprises pour payer les salaires (comme il le fait avec près de 12 millions de chômeurs partiels) et qu’il suffit de faire payer les riches pour régler les problèmes de déficits et de dettes. La réalité est évidemment tout autre.
L'austérité arrive quoi qu'il en soit !
D’une part, la fin du chômage partiel provoquera des licenciements massifs. La chute de la consommation qui s’ensuivra conduira à la mort par asphyxie (déjà bien entamée) de plusieurs centaines de milliers d’entreprises. Et compte tenu de l’ampleur des effets sur l'économie, il va falloir adopter dans un second temps des mesures d'économies drastiques et instaurer un plan sévère d'austérité pour le peuple. Bien évidemment, ces mesures inévitables sont aujourd’hui urticantes et inaudibles. Mais il suffit d’attendre pour qu’elles s’imposent d’elles-mêmes en ces temps de crise. L'austérité arrive quoi qu'il en soit... !
Autrement dit, une période à haut risque s'ouvre, et comme pour la Grèce, on sait qu'elle viendra en France avec la crise de la dette publique. Depuis 10 ans, emprunter coûte si peu que les États et les entreprises se sont beaucoup endettés, partout dans le monde. La bulle de la dette va bien finir par éclater, et on en ressentira durement les conséquences quand la crise sociale arrivera, tant en Martinique qu’en Guadeloupe, sous nos yeux stupéfaits. 
La particularité de nos élites consiste en effet à être toujours dans le court-termisme, et incapables de d'anticiper pour s’adapter à la réalité de demain.
Or la réalité est qu'un scénario de « catastrophe » économique se dessine pour la Martinique et la Guadeloupe : la stagflation. Aujourd’hui, c'est toute l'économie qui est à l'arrêt et nul ne peut prédire la tournure que prendra la reprise après le déconfinement et la fin du dispositif de chômage partiel. 
C'est dans ce contexte que le chômage risque bientôt de s'amplifier et c'est une lapalissade que de dire que cette crise économique et sociale d'ampleur va frapper durement la France et les DROM.  La crise du coronavirus qui provoque l'effondrement de la croissance, l'envolée des prix, le retour des licenciements assombrit l'horizon de l'économie de la Martinique et de la Guadeloupe.
Dans les deux sites, les indicateurs économiques sont désormais au rouge. 
Baisse de la consommation de 35 %, recul de l’activité jusqu’à 90 % dans certains secteurs, les Martiniquais et Guadeloupéens se sont habitués depuis le début du confinement et de l’épidémie du coronavirus aux chiffres chocs qui décrivent l’écroulement soudain de leur économie. Mais le pire pourrait bien être encore à venir, avec  le scénario de la stagflation. Mais la menace de stagflation - le terme utilisé pour décrire un ralentissement économique couplé à une hausse des prix - est réelle, n'en déplaise à nos éternels optimistes.
Alors la départementalisation, jusqu’à quand aux Antilles ? 
Pour ceux qui ne connaissent pas le terme, la stagflation a été un problème majeur pour l'économie française dans les années 1970, quand il y a eu un choc pétrolier et une flambée des prix du gaz. Pourquoi la stagflation serait un désastre pour la pérennité de la départementalisation ? Quels facteurs pourraient hâter la stagflation et mettre à bas la départementalisation ?
L'Insee relève que les quatre moteurs qui ont soutenu la croissance de la Martinique et de la Guadeloupe au cours des dernières années tournent désormais au ralenti :
En effet : « le taux de chômage atteint ses plus hauts niveaux et peut encore augmenter beaucoup plus, sitôt la fin de l'activité partielle (ou chômage partiel)  ; l’effet des taux d’intérêt faibles sur la demande de biens et services s’épuise ; il y a progression des besoins en logements, en autos, en investissement industriel ; de même, la poursuite de la hausse de l’endettement, public et privé, est de plus en plus difficile à supporter par l'état, les entreprises et les ménages ; la récession a fait chuter le prix du pétrole à un niveau qui affaiblit la reprise de l'activité boursière tout en provoquant paradoxalement une hausse des prix des produits de première nécessité. 
Le sort de l’économie mondiale est entre les mains des autorités monétaires et politiques qui peuvent encore nous sauver du plus grand « mal économique » qu’est la stagflation. C’est-à-dire, une situation particulière où l’on constate dans une économie la simultanéité d’un niveau élevé d’inflation et d’une croissance faible, voire d’une récession.
La stagflation est la situation d'une économie qui souffre simultanément d'une croissance économique faible ou nulle et d'une forte inflation (c'est-à-dire une croissance rapide des prix). Cette situation est souvent accompagnée d'un taux de chômage élevé, ce qui contredit ceux qui sont les indécrottables optimistes d'une reprise rapide en V de l'économie de la Martinique et de la Guadeloupe.
Cela pourrait signifier au contraire à moyen terme un taux de chômage à 34% et une inflation à 10%. Nous venons de passer dans un nouveau monde et il est urgent que nos dirigeants disent la vérité, car au contraire le ciel va s’obscurcir, l’horizon se rétrécir, les premières gouttes de la stagflation arrivent déjà à nos portes. La prochaine crise qui s’annonce sera probablement plus proche du cyclone dévastateur que de l’averse passagère de carême. Elle risque d’être d’envergure car elle devrait être à la fois financière, économique, sociale et sociétale. 
Qui dit crise dit changement. Cette crise correspond à la fin de l’expansion économique et sociale de la départementalisation. Nous sommes aujourd’hui virtuellement entrés dans une phase de récession fulgurante. D’un point de vue économique, l’offre et la demande de crédit vont se contracter à cause de la crise bancaire qui se profile et la conséquence sera une perte de niveau de vie pour les Martiniquais et Guadeloupéens. N'en doutons pas !
A pa jou pyébwa tonbé an dlo i ka pouri.
(Ce n'est pas le jour où l'arbre tombe à l'eau qu'il pourrit. Les conséquences ne suivent pas immédiatement les causes).

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