Sébastien Lecornu : « J'ai surtout senti qu'il fallait redonner la parole à la majorité silencieuse »
Chargé d'un « comité des maires » pour la campagne d'Emmanuel Macron

Sébastien Lecornu : « J'ai surtout senti qu'il fallait redonner la parole à la majorité silencieuse »

Propos recueillis par C.B.
Sébastien Lecornu dresse un bilan de son action.
Sébastien Lecornu lors de son allocution télévisée de vendredi 26 novembre. • PHOTO DR

Ministre des Outre-mer depuis presque deux ans, Sébastien Lecornu est un fidèle du candidat Emmanuel Macron. Il dresse le bilan de son action et évoque les perspectives en cas de victoire à la présidentielle.

 Alors que vous quitterez prochainement ce ministère, que pensez-vous avoir appris des Outre-mer ?

Je connais bien les Outre-mer. Bien avant ma nomination rue Oudinot, j'avais déjà eu l'occasion de me rendre dans chacun des territoires, et parfois à plusieurs reprises. Ces deux années m'ont néanmoins permis d'approfondir ces liens de cœur. Ce que je retiens de ces presque deux années passées dans ce ministère, en raison sans doute des crises que nous avons vécues ensemble sous ce quinquennat —le passage d'Irma sur les Antilles, la crise des Gilets jaunes, la crise sanitaire…— est avant tout que le besoin d'Etat dans nos territoires ultramarins n'a jamais été aussi fort. Ce besoin d'Etat, il s'est traduit par plus de protection de nos concitoyens, plus de solidarité nationale dans les moments difficiles, plus d'interventions publiques lorsqu'il fallait soutenir une collectivité dans l'exercice de ses compétences…

Et nous avons été au rendez-vous que ce soit sur la sécurité, le chômage, la santé ou encore dans le rétablissement progressif de l'eau potable dans les robinets à Mayotte et en Guadeloupe. Tout cela en adaptant sans cesse les décisions aux réalités de chaque territoire. C'est pour moi une fierté même si tant reste à faire. Maintenant que nous arrivons en fin de mandat, je suis convaincu qu'il faut poursuivre cet élan et renforcer la protection que doit l'Etat à tous les ultramarins compte tenu de leur éloignement géographique ou des risques présents dans ces territoires. C'est en tous cas ce que souhaite Emmanuel Macron pour les Outre-mer pour les 5 ans qui viennent.


« Nous avons été présents dans l'Hexagone comme dans les Antilles pour protéger nos concitoyens »
 

Aux Antilles et en Guyane, depuis mars 2020, les territoires vivent au rythme de l'épidémie de Covid. Était-on prêt à affronter cette pandémie, notamment la quatrième vague particulièrement catastrophique ?

D'abord, je veux avoir une pensée pour tous ceux qui ont perdu un proche ou qui sont toujours malades. Cette épidémie inédite, qui a touché tous les pays du monde, n'est pas terminée et nous rappelle à quel point nous devons être humble face à la nature. Pour répondre précisément à votre question, personne, ni en France ni ailleurs, n'avait imaginé qu'un virus nous toucherait avec cette ampleur. Pour autant, j'ai le sentiment que nous avons bien réagi et que par rapport aux autres pays européen, ou de la zone Caraïbes-Antilles, nous nous en sommes plutôt bien sortis. En termes matériel, humain ou financier, nous avons été présents dans l'Hexagone comme dans les Antilles pour protéger nos concitoyens.

Je pense par exemple aux 10 000 soignants déployés en renfort en Outre-mer dans le cadre de la solidarité nationale ou aux 160 évacuations sanitaires au départ des Antilles et de la Polynésie, les EVASAN, véritables prouesses sanitaires. De manière structurelle, le Ségur de la Santé dans les Antilles permettra de mieux armer notre système de soins pour affronter des crises de ce type, avec 600 millions d'euros pour moderniser les établissements de santé et développer l'offre de soins, sans oublier la revalorisation des salaires des soignants que nous devrons poursuivre.

Mais aussi, au “quoi qu'il en coûte”, qui n'a pas été qu'un slogan et qui a permis à des milliers d'entreprises dans tout le pays de faire face à la baisse d'activité, liée aux épisodes de confinements et de mesures de freinage. Par ailleurs, nous avons fait le choix, depuis le début de la crise sanitaire, d'apporter une réponse différenciée pour prendre en compte les spécificités de chaque territoire. A l'heure où la cinquième vague semble s'installer dans la durée, entraînée par les variants Omicron et Deltacron, je ne peux que rappeler que la vaccination reste le seul moyen durable de se protéger des formes graves.
 

« Les taux de conformité des soignants à l'obligation vaccinale dans les Antilles atteignent le même niveau que dans l'Hexagone, c'est cela aussi l'égalité réelle dans la sécurité sanitaire ! »


Agiriez-vous différemment sur l'obligation vaccinale des soignants aujourd'hui ?

L'obligation vaccinale des professionnels de santé a été instaurée par une loi de la République, votée par le Parlement. Il est normal qu'elle s'applique partout sur le territoire national. Mais, pour tenir compte des spécificités des territoires, nous avons donné un délai supplémentaire aux Antilles et en Guyane afin de prendre en compte le faible taux de vaccination de la population générale et la survenue de pics épidémiques en août 2021. Nous avons mis en place une cellule de dialogue et d'accompagnement afin de prendre le temps nécessaire pour expliquer et convaincre que l'obligation de protection des professionnels de santé servait à protéger les plus fragiles. Aujourd'hui, les taux de conformité des soignants à cette obligation dans les Antilles atteignent le même niveau que dans l'Hexagone, c'est cela aussi l'égalité réelle dans la sécurité sanitaire !  J'ajoute que la démagogie de certains candidats à l'élection présidentielle sur cette question interroge beaucoup sur leur cynisme et leur électoralisme, je pense bien entendu aux récentes déclarations de Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon.

 

« Les entreprises touristiques ultramarines vont pleinement bénéficier de France Relance »

 

Comment restaurer l'image du tourisme dans ces territoires, et soutenir les professionnels du secteur ?

Tout au long de cette crise, l'État était aux côtés des entreprises en Outre-mer. D'abord, nous avons adapté les mesures de freinage au plus près du terrain en partant des concertations locales pour prendre en considération les spécificités des territoires ultramarins dans l'application des restrictions sanitaires. Ensuite, à travers le fonds de solidarité - plus d'1,2 milliard dans les Outre-mer - aucune entreprise n'a été laissée de côté. L'action de l'État a été massive. Avec l'aide à la prise en charge des coûts fixes, l'indemnisation de l'activité partielle, les reports de charges fiscales et sociales, nous avons maintenu à flot les entreprises du tourisme, secteur vital pour nos économies ultramarines. Enfin, l'octroi de prêts garantis par l'État pour plus de 3,6 milliards d'euros, avec des conditions de remboursement qui ont été assouplies pour éviter un “mur de la dette”, nous permet de garantir les bonnes conditions de la reprise économique. De manière plus structurelle, les entreprises touristiques ultramarines vont pleinement bénéficier de France Relance et du plan Destination France. Mais il est primordial de travailler aussi sur l'image de nos territoires et leur spécialisation sur un créneau afin d'attirer des clientèles spécifiques. Et ce travail, le gouvernement a déjà commencé à l'accompagner avec le secteur. Un fonds de 250 millions d'euros est déjà consacré exclusivement à la mise en valeur dans chaque territoire de lieux emblématiques. J'ajoute que le candidat Emmanuel Macron est le seul candidat à proposer une nouvelle génération de défiscalisation pour accompagner les investissements nécessaires. C'est un choc positif attendu.
 

« Ne céder ni à l'agitation médiatique et encore moins aux pressions démagogiques
»


A la fin de l'année 2021, la Guadeloupe et la Martinique ont été secouées par une crise sociale et des violences. Comment avez-vous vécu cette période ?

Cette crise aux Antilles de novembre dernier était multiple : d'abord, une crise de l'ordre public, avec des bandes armées qui sévissaient la nuit et des tirs violents à balles réelles sur les forces de l'ordre ; ensuite une crise sociale à l'hôpital, née de l'obligation vaccinale des soignants, que nous n'avons peut-être pas suffisamment expliquée au début et que nous avons désormais accompagnée avec nos cellules d'écoute et d'accompagnement social ; et enfin, une crise de la jeunesse, qui ne date pas d'hier, et à laquelle nous avons répondu par un ambitieux plan jeunesse.

Mais, pour être direct, j'ai surtout senti dans cette crise qu'il fallait redonner la parole à la majorité silencieuse, qui rejetait toute forme de violence, qui souhaitait travailler et se déplacer librement, sans blocage, qui se sentait prise en otage par cette minorité d'activistes bruyante qui pensaient à leurs intérêts plutôt qu'à l'intérêt général. J'ai beaucoup consulté, écouté, pris le pouls des deux sociétés martiniquaise et guadeloupéenne, et j'ai senti qu'il y avait plus que jamais un besoin d'État : d'un État qui ne laissait plus faire, qui agissait pour la protection de nos concitoyens et qui ne tergiversait pas sur les valeurs de la République. C'est ce que j'ai essayé d'incarner pendant cette crise et au-delà, ne cédant ni à l'agitation médiatique et encore moins aux pressions démagogiques de certains candidats à l'élection présidentielle.
 

De manière plus personnelle, si vous ne deviez garder qu'un seul souvenir de votre passage rue Oudinot, quel serait-il ?

Pas un seul heureusement mais plusieurs ! Spontanément, je dirais déjà les Marseillaises que j'ai entendues chantées, avec la même ferveur et la même émotion, à chacun de mes déplacements. Et plus particulièrement, celle entendue dans les îles Marquises avec le président de la République, ou encore à Dembeni à Mayotte par une chorale d'enfants en français, puis en shimaoré. La distance n'enlève rien au fait d'appartenir à la même Nation, être français a une signification républicaine aux quatre coins du globe. Sur le fond des dossiers que j'ai eu à traiter en tant que ministre, quand je suis arrivé dans cette maison, le président de la République m'a donné deux chantiers prioritaires : le dossier calédonien d'une part, et la relance économique d'autre part, en ayant en tête qu'il fallait en faire une arme contre la vie chère et le chômage. Tout ne s'est pas passé comme prévu et le virus a bouleversé cet agenda. Mais, de cette crise, il faut retenir le formidable élan de solidarité de l'Hexagone vis-à-vis des Outre-mer. Des milliers de soignants — plus de 10.000 pour être précis — ont ainsi fait le choix de se rendre sur place pour renforcer les capacités hospitalières, relever leurs confrères ultramarins, prendre part aux évacuations sanitaires ou encore déployer des hôpitaux de campagne. Dans ces moments de grande vulnérabilité, les territoires ultramarins n'ont pas été oubliés et nous avons fait Nation. Pour autant, la situation sur le front de l'emploi s'est malgré tout améliorée de manière inédite, en Outre-mer comme dans l'Hexagone, du fait de la croissance économique. Quant à la vie chère, nous avons amorcé notre stratégie en dépit du contexte international et ce sera notre chantier prioritaire si les Français accordent une nouvelle fois leur confiance à Emmanuel Macron.
 

« Je continue ce travail de mobilisation au service du candidat car je considère qu'il est le seul à pouvoir tenir la barque dans les 5 années à venir »

 

Vous êtes un proche d'Emmanuel Macron, quelle aura été votre place dans la courte campagne présidentielle ?

Cette campagne est nécessairement atypique en raison du contexte international et du retour de la guerre en Europe. S'agissant de mon engagement, les dossiers ne manquent pas et je suis comme toujours à la tâche, au service de nos compatriotes ultramarins, “jusqu'au dernier quart d'heure”. Sur mon temps militant, je préside également une association d'élus pour la réélection d'Emmanuel Macron qui rassemble dans tout le pays plus de 500 comités de soutien. Je continue ce travail de mobilisation au service du candidat car je considère qu'il est le seul à pouvoir tenir la barque dans les 5 années à venir, pour l'hexagone comme pour les Outre-mer. Je dirai même que les différents projets portés par les autres candidats ne sont pas sans danger pour les Outre-mer : les approximations et la faiblesse de celui de Marine Le Pen en est l'illustration.
 

Quelle place aimeriez-vous occuper le 25 avril prochain ?

Une élection n'est jamais gagnée d'avance, c'est le temps de la campagne. Pour le reste, je ne suis candidat à aucun poste.

 « Que chaque réforme nationale bénéfice aux territoires ultramarins »

Les contrats de convergence et de transformation signés en 2019 dans les jardins du ministère des Outre-mer s'achèvent en 2022. Est-ce vraiment un outil de développement efficace pour les territoires ultra-marins ?

Ces outils servent avant tout à apporter des financements aux collectivités locales sur des compétences qui ne relèvent pas de l'État et donc à répondre aux besoins de nos concitoyens en matière d'eau, de transports, d'énergie, de déchets, de développement économique et social, de formation…  C'est dans ce cadre qu'ont été signés en juillet 2019, 7 contrats de convergence et de transformation, pour plus de 1,7 milliard d'euros d'investissement, après un cycle de concertation inédit dans chacun des  territoires. À ces sommes d'argent, nous ajoutons également un soutien en matière d'ingénierie pour faire en sorte que les projets sortent réellement de terre ainsi que tous les crédits du plan de relance. Cet engagement est sans précédent, maintenant il revient aux différentes collectivités de faire avancer les projets et de consommer les crédits. De manière globale, nous avons veillé à ce que chaque réforme nationale bénéfice aux territoires ultramarins, avec leurs spécificités respectives : dernière mesure annoncée par le candidat Macron sur TF1, l'indexation des retraites sur l'inflation dès cet été permettra de protéger le pouvoir d'achat de nos aînés dans l'Hexagone comme en Outre-mer : une  solidarité inédite pour juguler l'inflation les effets du conflit !

« Nous avons ainsi poursuivi notre action de lutte contre les sargasses »

En matière environnementale, on recense beaucoup d'annonces pour peu de réalisations, est-ce un regret ?

Je ne partage pas du tout ce constat. Avec 670 millions d'euros par an, nous avons quasiment doublé les financements au profit des énergies renouvelables en outre-mer, investi 200M€ pour la rénovation énergétique des bâtiments publics dans le cadre du plan de relance, et programmé près de 500M€ pour l'accès à l'eau potable et à l'assainissement alors qu'il s'agit pourtant d'une compétence du bloc communal. J'ai d'ailleurs soutenu la création d'un syndicat unique de l'eau en Guadeloupe pour résoudre la crise locale et contribuer à remettre petit à petit de l'eau au robinet de tous les guadeloupéens. Mais, bien plus que des chiffres et des millions, ce sont des actions concrètes qui ont marqué le quinquennat : nous avons renforcé la lutte contre les atteintes illégales à l'environnement, et créé de nouvelles aires protégées ultramarines, comme les réserves naturelles des forêts de Mayotte, des îles Glorieuses, ou des Terres australes françaises, la seconde plus étendue au monde. Nous avons accompagné le développement du parc naturel marin de la mer de Corail, en Nouvelle-Calédonie. Comme ministre des Outre-mer, j'ai pu poursuivre et coordonner des chantiers interministériels sur lesquels je m'étais investi comme secrétaire d'État au ministère de la transition écologique en 2018. Nous avons ainsi poursuivi notre action de lutte contre les sargasses en renforçant l'appui de l'État aux collectivités ; nous avons réformé le code minier après avoir stoppé le projet de la Montagne d'Or en Guyane ; nous avons renforcé les moyens pour réduire l'exposition des populations antillaises à la pollution par la chlordécone avec un 4ème plan Chlordécone doté de plus de 90 millions d'euros. Sur ce sujet, à titre personnel, je souhaite que les parties civiles puissent user de toutes les voies de recours et d'appel dans la procédure judiciaire en cours. J'ai été très vigilant à accélérer la protection de nos concitoyens ultramarins face aux risques naturels et climatiques : nous avons par exemple lancé la troisième phase du plan séismes Antilles, commencé le déploiement des sirènes pour mieux gérer le risque tsunami à Mayotte suite à l'émergence récente d'un volcan sous-marin au large de l'archipel et fait aboutir le plan de prévention des risques cycloniques à St Martin. Peut-on pour autant se satisfaire de la situation actuelle ? Bien évidemment, non. Il y a toujours urgence. C'est pourquoi nous devons renforcer la lutte contre l'orpaillage illégal, et plus largement la protection des ultramarins contre les pollutions environnementales. Si je prends le cas de Mayotte, près de 80 % des eaux usées sont rejetées dans le lagon sans traitement. Mais, ce sont avant tout des compétences locales, et cela, depuis le 19ème siècle. L'État est prêt à accompagner les collectivités sur ces deux volets, mais ne pourra pas s'y substituer.

Suivez l'info en temps réel
sur l'appli France-Antilles !

Télécharger