Jean-Claude Capron, président de la société coopérative de production d'ananas : Un champignon aura-t-il raison de la production d'ananas ?

Jean-Claude Capron, président de la société coopérative de production d'ananas : Un champignon aura-t-il raison de la production d'ananas ?

Marie-Albert Achaume / C.Everard

L'ananas frais de Martinique a tendance à se raréfier sur les étals des marchés. Les distributeurs de fruits ont du mal à s'approvisionner auprès de l'unique coopérative qui regroupe toute la profession : Ananas Martinique. En effet, la production régresse dangereusement pour la filière. La cause ? Un champignon qui décime les plantations et décourage les producteurs. Jean-Claude Capron, président de la société coopérative, a entamé une démarche auprès des parlementaires du pays afin de leur expliquer les enjeux.

Pourquoi trouve-t-on peu d'ananas sur le marché ?
Les fruits n'arrivent pas correctement sur le marché parce que les producteurs ne parviennent plus à produire ce fruit, ils sont démunis. Ce ne sont pas leurs compétences qui sont mises en cause mais ils ne disposent plus de fongicides, d'insecticides et nématicides utiles à la production.
Est-il obligatoire d'utiliser des pesticides sur les cultures ?
La profession a entamé depuis 2010 une nouvelle démarche de production. Elle a accepté de tout revoir de fond en comble en révisant l'itinéraire technique du fruit. Nous avons introduit le concept d'assainissement du sol avec les plantes de couverture, les apports organiques ou la rotation des sols.
Mais force est de constater la persistance du champignon Phytophthora qui réapparaît 6 mois après l'assainissement du sol. Lorsque ce champignon apparaît, la plante dépérit progressivement et le champ est détruit en un rien de temps. Ces produits sont donc nécessaires pour cette filière. On nous autorise l'utilisation de fongicides uniquement en trempage des plants. En fait, nous sommes autorisés à utiliser « Mette Flash » mais en une seule fois.
Que souhaitez-vous ?
L'utilisation d'Aliette à raison de 3 ou 4 applications en préventif dans les champs en traitement foliaire. Cette augmentation du traitement permettra de protéger les plants mais aussi la plantation. Ce produit est utilisé sur d'autres cultures que l'on consomme ici. Les ananas importés sont traités avec ce produit, or, ils sont vendus sans difficulté chez nous. Pourquoi nous l'interdit-on alors qu'on autorise l'importation d'ananas traités par le fongicide « Aliette » ? Ces fruits sont même traités avec d'autres insecticides interdits en Martinique. Ce qui m'inquiète, c'est que ces pays sont venus chez nous apprendre nos méthodes et ils nous envoient maintenant leurs fruits sans être inquiétés.
Nous nous sommes organisés au niveau de la filière pour satisfaire le consommateur local mais depuis 2008, on nous retire progressivement les produits phytosanitaires. Nous parvenons à fournir moins de 500 tonnes d'ananas par an alors que la demande est de 2 500 tonnes.
Quelles sont les conséquences de cette crise ?
On assiste à une baisse de 70% de la production. Les plus petits planteurs jettent progressivement l'éponge. Ceux qui plantaient 5 ha sont passés à 1,5 ha et tirent la langue. Les charges n'ont pas baissé et les banques commencent à ne plus financer. L'endettement prend déjà des proportions inquiétantes. Nous sommes confrontés à deux problèmes : le manque de plants et ce champignon qui détruit les plants et les fruits. La filière risque de disparaître totalement avant 3 ans. Nous sommes passés d'une productivité de 70 tonnes par hectare à moins de 35 tonnes. Je rappelle qu'il faut 50 000 plants d'ananas pour 1 ha et on arrive difficilement à 15 000 en fin de cycle. Nous ne souhaitons pas baisser les bras car le fruit est très apprécié des Martiniquais mais il faut qu'on nous donne les moyens.
Quelles sont les solutions, selon vous ?
Modifier la loi pour nous permettre l'utilisation de certains produits pour lutter efficacement contre ce champignon. Nous espérons aussi importer des plants en provenance de Saint Domingue. Poursuivre le programme des vitroplants pour assainir les plantations. L'autorisation d'utiliser « Aliette » en application foliaire permettra de mettre immédiatement 10 ha d'ananas en plantation. Je rappelle que la canne à sucre a obtenu une dérogation pour l'utilisation de certains produits qui avaient été retirés.
Des parcelles entières touchées par la phytophthora.
Des parcelles entières touchées par la phytophthora.
« On assiste à une baisse de 70% de la production » , précise Jean-Claude Capron.
« On assiste à une baisse de 70% de la production » , précise Jean-Claude Capron.
Aliette flash
Selon le fabriquant la firme Bayer, « Aliette Flash est un fongicide préventif doté d'une systémie ascendante et descendante. Il est actif contre de nombreux champignons responsables de maladies, notamment les maladies à phytophthora. Aliette Flash est utilisable sur plusieurs cultures » .
Ce produit est régulièrement utilisé dans la culture du melon, des fraises, pommes, des agrumes ou de l'ananas. Par ailleurs, en matière de protection de l'environnement, le fabriquant préconise « de protéger les organismes aquatiques, respecter une zone non traitée de 5 mètres par rapport aux points d'eau et prévoir un dispositif végétalisé non traité d'une largeur de 5m en bordure des points d'eau pour limiter les risques d'eutrophisation » .
Aliette Flash est composé à 80% de fosétyl-Aluminium, la substance active.
« Les pays exportateurs font ce qu'ils veulent »
« Auparavant les planteurs d'ananas utilisaient une autre variété d'ananas, la Cayenne lisse : elle était résistante à la phytophthora mais plus sensible à un virus. Ils ont donc changé pour la variété MD2, mais qui est plus facilement touchée par la phytophthora » , explique Jean lotti, directeur adjoint de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Daaf). « Effectivement les planteurs martiniquais ne peuvent pas utiliser Aliette en plein champ, alors que les autres pays exportateur font ce qu'ils veulent car si nous contrôlons les résidus de pesticides qui peuvent être dans le fruit nous n'avons aucun regard sur la façon de produire. Concernant la Martinique, un dossier d'homologation est en cours pour l'Aliette, mais, avec les tests, il n'aboutira pas avant 2015. C'est pour cette raison que les planteurs envisagent une demande de dérogation exceptionnelle sur 120 jours, comme les planteurs de canne. »
Qu'est-ce que la phytophthora ?
Appelée « pourriture du coeur de l'ananas » , la phytophthora parasitica est un champignon responsable d'une maladie commune à toutes les zones de production de l'ananas. Cette dernière entraîne la pourriture molle de la partie supérieure blanche et tendre de la tige et de la base des jeunes feuilles.
Le pathogène attaque les plantes à tout stade d'évolution et on peut enregistrer jusqu'à 80 et 90% de perte, sans lutte préventive.
En matière de lutte, les techniciens proposent un assainissement du sol, l'amélioration du drainage dans les plantations d'ananas, l'utilisation des rejets sains, la désinfection des rejets avant plantation et de faire des traitements chimiques à base de fongicides.

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