L'Arc-en-ciel vire au merdâtre

L'Arc-en-ciel vire au merdâtre

Pierre-Yves CARLIER

À la BP 134, les eaux usées ne s'écoulent plus. De nombreux habitants vivent dans la puanteur.

Certains habitants de la BP 134 ont cassé leur raccordement au tout-à-l'égout et envoient désormais leurs eaux usées dans les canaux (Jody Amiet)

Les asticots grouillent dans les regards donnant sur le réseau d'assainissement (PYC)

Les asticots grouillent dans les regards donnant sur le réseau d'assainissement (PYC)
Les asticots grouillent dans les regards donnant sur le réseau d'assainissement (PYC)
Dans une rue de la cité Arc-en-ciel (ex-BP 134), à Rémire-Montjoly, Mizarelle se promène avec son rouleau de papier toilette à la main. « Je vais chez ma soeur, car je dois aller aux toilettes. » Il y a pourtant des WC dans sa maison. Mais depuis cinq jours, la cuvette ne se vide plus. Elle s'est transformée en mare et, dans les pièces voisines, ça sent la merde.
En ce mercredi des Cendres, une odeur d'égout plane sur le quartier. La raison est toute simple, raconte Patty, davantage connue pour les costumes qu'elle confectionne pour le groupe de carnaval Patawa que pour être une pasionaria de la bouche d'égout : les vieilles maisons ont été raccordées au tout-à-l'égout ces derniers mois, mais les eaux usées ne s'écoulent pas. Résultat, tout remonte.
Ce sont les vacances scolaires. Plus haut dans le quartier, deux enfants jouent dans la cour de leur maison. Un regard sur les égouts se trouve juste à côté d'eux. Au fond, ça grouille d'asticots.
Le voisin d'en face a monté deux rangées de parpaings devant son entrée : les jours de pluie, les eaux usées remontent dans la rue et s'écoulent dans sa maison.
Patty, elle, est au bord de la crise de nerfs. Les égouts remontent par la douche. Elle a sacrifié un vieux vêtement pour boucher l'évacuation. Elle le retire. Les égouts remontent en bouillonnant. L'odeur prend à la gorge. Les larmes lui montent aux yeux.
« Je suis obligée d'attendre la nuit, pour aller me laver dans la crique. Je n'arrive plus à manger chez moi. L'eau me dégoûte. Je fume de plus en plus, pour oublier l'odeur. Mes enfants ne me rendent plus visite. Ni mes petits-enfants. Avant, j'avais ma fosse septique. Je n'avais pas de problème. Je suis contente : il y a des travaux à la BP 134. Mais il vaut mieux avoir de la boue dans la rue que du caca dans la maison. »
En ce mercredi des Cendres, elle a décidé de prendre le taureau par les cornes. « Je vais faire comme mes voisins. » Ils se sont débranchés du tout-à-l'égout, ont acheté des tubes en PVC et laissent s'écouler les eaux usées dans le canal en bas du quartier ou plus loin dans la nature.
Eliseu l'a fait il y a deux mois. « Avant, l'eau remontait dans les toilettes et à l'arrivée de la machine à laver. Tout de suite après (avoir mis les nouveaux tuyaux), ça a changé. » Depuis, les eaux usées finissent dans le canal Beauregard. « Il faut que ceux qui pêchent dans le canal sachent que toute notre merde part dedans. »
- Des aberrations dans les logements neufs
« Si je pars pendant deux jours sans que ce soit aéré, quand je rentre, c'est horrible. » Cette Rémiroise a emménagé début octobre, dans un des nouveaux logements de la BP 134. Les odeurs d'égouts lui en font voir de toutes les couleurs. Il y a d'abord les effluves malodorants dus aux problèmes d'assainissement du quartier.
Mais il y a pire. Les cheminées qui permettent de laisser échapper les gaz provenant des égouts arrivent... dans la salle de bain. Elles trônent à côté du trône... Notre habitante l'a bouchée avec un sac-poubelle et tente de masquer l'odeur avec des vaporisateurs.
Hier, un spécialiste signalait que « logiquement, cet appareil doit être à l'extérieur, juste sous le toit pour éviter que le vent ne rabatte les odeurs vers les terrasses » .
- Un réseau pas électrifié
Que se passe-t-il avec le réseau d'assainissement de la BP 134 ? C'est tout simple, selon la Société guyanaise des eaux (SGDE) : deux postes de refoulement permettent d'envoyer les eaux usées jusqu'à la lagune de Rémire, située à Morne Coco. Mais l'un de ses postes n'est toujours pas électrifié et ne fonctionne donc pas.
Plusieurs acteurs interviennent dans ce chantier. La Société immobilière de Guyane (Siguy), que nous ne sommes pas parvenus à joindre hier, est responsable du chantier de résorption de l'habitat insalubre de la BP 134. Elle a missionné une entreprise pour réaliser le chantier et a demandé à EDF d'amener l'électricité.
Des travaux ont été réalisés. Le chantier en est là. Une fois terminé, la Siguy réceptionnera le chantier et cédera le réseau d'assainissement à la communauté d'agglomération du centre littoral (CACL), qui en confiera la gestion à la SGDE. Le problème, c'est que les habitants sont déjà raccordés.
« La SGDE n'est pas responsable du réseau » , souligne son directeur Rodolphe Lelièvre. Il précise toutefois avoir été sollicité par une habitante mardi et avoir demandé à une société de pompage d'aller récupérer les eaux usées. Ce genre d'opération est effectué quasiment chaque semaine depuis six mois.
 

L'Arc-en-ciel vire au merda?tre (15.02.13) from France Antilles Guyane on Vimeo.

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